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Plutôt mourir que de partir

Les intérêts collectifs se noient dans l’appétit vorace et la cupidité des exploiteurs qui se sont maquillés en patriotes. Ils sont devenus le reflet des démons qu’ils avaient juré de combattre. Remplies, leurs bouches ne s’ouvrent plus pour dénoncer l’injustice et promouvoir une Haïti dans l’inclusion et la justice. Népotisme, copinage, l’appareil de l’État est séquestré. L’eau qui aurait dû soulager notre soif, arroser l’espoir de tout un peuple et faire grandir la nouvelle génération sur qui devrait reposer notre renouveau, alimente les géantes piscines des intermédiaires entre le peuple et l’État. Peut-être que la prochaine révolution doit se passer par là. Libérer l’administration publique de la bouche des vautours qui ne laissent rien au peuple et accroissent le désespoir et l’exode.

L’émigration est devenue la principale source économique d’une certaine élite, juste un petit regard dans les rapports de banque et vous verrez. Une petite comparaison des noms des actionnaires de banques, représentants de compagnies aériennes, propriétaires d’hôtels, responsables d’agence et cadres aux ministères, vous saurez. Ce n’est pas un hasard si le pays n’arrête jamais de danser alors que du sang se répand partout en Haïti, arrosant d’accablement les terrains les plus résistants. Nous sommes devenus égoïstes, insensibles et inhumains ; tout pour le ventre et le bas ventre. Condamné à lutter pour sa survie, on ne conteste plus rien. Nous avons renoncé à notre mission de repenser, proposer, planifier, construire…  et décider de l’avenir.

En grandissant, partir ne figurait pas sur la liste des options. L’objectif a été d’exceller à l’école, devenir un professionnel qualifié et mettre mes compétences au service de la nation haïtienne. Je parle d’un temps ou l’argent ne constituait pas l’objectif premier d’une vie réussie. Le patriotisme, sens de l’engagement, l’honneur et la dignité humaine constituent le mobile d’une majeure partie de notre élite. On se projetait au pays, s’amusait à dire qu’on n’a pas de pays de rechange et que s’il fallait mourir pour l’avenir de nos enfants, que nous soyons reçus en héros sur le trône des martyrs.

Ma mère est mon alpha et mon oméga. Elle s’est sacrifiée pour que je puisse devenir quelqu’un, pour que ma vie soit moins difficile et que probablement je puisse l’aider un jour. Malheureusement, un jour, en revenant du marché, elle est tombée sur les balles assassines de gangs rivaux ; elle a été victime de tirs croisés. Tournant incontournable dans ma vie, perte de ma raison d’exister. Elle qui aimait ce pays plus que tout.

Face à la montée grandissante du banditisme, constatant la démission de nos élites, et malgré les propagandes du gouvernement de l’époque, j’ai choisi l’exil. Reçu par une cousine, je ne peux pas me plaindre. J’ai reçu du support et de l’encadrement. L’environnement matériel m’était favorable mais, l’esprit lui, est resté au pays. Durant les deux premières années, mes pensées sont restées focalisées sur Haïti. Tous mes projets sont tournés vers elle comme si j’y habitais encore ou que je projette d’y retourner dans un avenir proche. Mon esprit ne s’était jamais préparé à l’idée de m’établir un jour dans un pays étranger. L’adaptation demeure difficile. Je ne suis nulle part confortable. Pourtant, j’ai un boulot pas pénible, un salaire raisonnable et des personnes formidables pour me soutenir.

Personnages du théâtre de la vie, nous sommes à la fois acteurs et figurants de notre propre vie. Je suis le résultat des contradictions qui constituent mon être. Ma vie se perd dans une tourmente à cause de la dualité de mon vécu. Entre mes aspirations, ma survie et mon passé qui vit en moi et refuse de se laisser passer, c’est un duel permanent. Au fond de moi, mes illusions, mon idéal et mes valeurs. En quête d’équilibre, seule la concession insuffle, permet de subsister. Pour aller de l’avant, ce qu’on veut, ce qu’on vaut et celui qu’on est doit composer et compromettre avec ce qu’on peut. Mettre notre ego en arrière- plan afin d’affronter nos obligations et faire preuve de patience. Avancer, garder espoir, nourrir nos rêves et ne jamais arrêter de travailler sur soi. C’est aussi ça être un être responsable, ne pas se laisser prisonnier des caprices de ses désirs ; s’adapter à la réalité sans se perdre ou se laisser handicaper par les limites du présent.

Individualisme, libéralisme, exploitation, paupérisation, chaque jour, on est témoin d’injustice de toute sorte. On peut dire que le système est fait de ça. Les rares succès individuels, constituant une caste d’exception, ne font que confirmer le constat. Les chocs et toute la pression sociale broient les gens jusqu’à les rendre insensibles à leur sort. Leurrer par la propagande médiatique et les médias sociaux, impassibles aux millions de personnes écrasées par la machine du productivisme, ils espèrent tous s’en sortir et devenir riches comme crésus. Jusqu’à ce qu’il soit trop tard et qu’au lieu de questionner la fortune des puissants, la société les appelle à la barre et les condamne d’être pauvres après 30-40 ans de salaires de misère et une pension insuffisante à acheter deux petits pains.

Ça m’arrive parfois de questionner ma mission sur terre. Et si j’étais chargé de décider si elle doit se poursuivre ou pas ? La vie ne se termine pas toujours au dernier souffle. Beaucoup de ceux et celles que nous croisons dans les rues sont des morts-vivants. Sans rêve, sans objectif, aucun idéal… A quoi sert une vie vide de sens et de faire-semblant sinon qu’à perdurer une existence sans sens dans un monde qui a perdu de son essence ? Ce qui tue, ce qui pousse au suicide, ce n’est pas la misère ou la souffrance, mais le désespoir. Si ma vie ne tenait qu’à moi, il y a longtemps que je serais revenu. Je ne suis pas la seule d’ailleurs. Mais, la vie est le résultat d’un contraste, elle est faite de contradictions. Pour l’amour des siens, on est parfois obligé de trahir ses convictions, défaire son orgueil, trahir ses passions. La vie, telle qu’elle est dans cette société, est inhumaine et injuste. On est parfois obligé de se sacrifier pour mettre sa famille à l’abri.

Il faut un engagement collectif, de l’engagement civique et humaniste. Le bonheur et l’épanouissement humain doivent être priorisés sur la recherche effrénée du profit. Le fruit de nos ressources doit en faire bénéficier le plus grand nombre. L’appareil de l’État ne peut continuer à être prisonnier d’une caste. Nos dirigeants doivent arrêter d’être les complices d’une élite de profiteurs qui, comme une sangsue, inhale les ressources de l’État.

Comment aurions-nous un lendemain collectif meilleur si la vie de l’autre ne vaut rien. Il faut réinventer nos mécanismes de pensée et prioriser les intérêts de la nation au profit de chaque haïtien.

J’ai toute ma vie rêvé d’une société haïtienne basée sur la solidarité, l’entraide, la fraternité. J’ai toujours voulu être dirigé par des serviteurs du peuple qui tiennent à protéger et renforcer nos acquis sociaux. J’ai toujours préconisé la décentralisation. J’ai en horreur la république de Port au Prince, ses parasites et les corrompus qui sont prêts à tout pour la maintenir en vie. Mais, on ne peut conférer à des mairies illégitimes, sans mandats, ne représentant que leurs cliques à privatiser les ressources communales, signer des contrats çà et là. Il faut, de retour à l’ordre constitutionnel, évaluer, auditer et responsabiliser chaque membre de mairie. On ne peut pas rester passif et laisser accaparer les ressources communales à des fins mercantiles. Les élections venues, tous et toutes derrière les urnes, on doit faire élire des représentants humaniste avec l’intérêt collectif comme principale préoccupation. Les appareils de l’État ne peuvent et ne doivent en aucun cas constituer un chemin vers l’enrichissement rapide et illicite. Quand nos élus s’enrichissent, ce sont les communautés qui sont délaissées. IL faut un holà ! 

Pour une société dont l’ascenseur social est presqu’inexistant, l’individualisme ne peut que paupériser le plus grand nombre. Un patron qui gagne 1000 par heure face à un salarié qui produit pour moins de 20 dollars l’heure, c’est de l’exploitation. Un entrepreneur qui facture l’état pour un service qu’il n’a même pas rendu ou incapable de réaliser est du vol. Entre le contrebandier et le commerçant qui bénéficie d’une franchise de 30 ans, la différence est souvent dans l’épiderme et les accointances. Des incitatifs, oui. Mais, toujours en priorisant les intérêts de l’État et de la patrie Haïtienne. Décentraliser l’Etat et déléguer du pouvoir aux collectivités territoriales peut renforcer l’État, créer un rapport de proximité avec la population et rassurer tout un chacun que l’État est au service de tout le monde peu importe nos origines sociales, notre éducation et nos ressources économiques. La démocratisation des services publics.

La société civile doit se remobiliser et constituer un rempart permanent pour la bonne gouvernance. La démocratie est plus que l’étape des élections et le cycle infini des manifestations. C’est aussi la participation de la population dans les prises de décision. C’est Contester, Proposer, Organiser des référendums, Proposer des lois, se mobiliser pour exiger de l’Etat à faire, refaire, construire, reconstruire, aménager ce dont nos communautés ont besoin pour améliorer le niveau de vie de la population et créer un lendemain meilleur. Se porter candidat dans des élections justes et équitables pour défendre sa vision de la société. C’est être libre de supporter, suivre et voter le candidat ou le programme de son choix. Le pouvoir de décider de nos futurs dirigeants doit revenir aux Haïtiens du pays et de l’extérieur.

L’individualisme et le libéralisme ont phagocyté notre patriotisme et notre sens du devoir. Être patriote, ça ne se dit presque plus, mais, il faut y revenir. Le sens du devoir. Il faut développer notre appartenance à Haïti. On doit s’organiser, affronter et vaincre ceux et celles qui durant deux siècles ont tout fait avec leurs complices de l’intérieur pour éviter à ce que nous soyons unis et que nous ayons une volonté collective de vivre ensemble dans notre pays Haïti. Plutôt mourir que de partir ? La route sera longue et exige à ce que l’on renonce à soi. Pour la patrie et en l’honneur de nos ancêtres, aucun sacrifice ne sera trop grand. Nos mains sont tendues, vers le sud comme au nord, nous appellerons amis, ceux qui nous comprendront et pour qui l’intérêt de la population haïtienne est à respecter et à prioriser.

Peterson Mompremier

25 Aout 2023

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Auteur·e

belleayiti

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