Crédit: By jplenio @Pixabay

21…

Non.

On n’est pas là pour parler d’astrologie, peut-être une exploration psychique. Loin de là, je vais bien, je ne suis pas fou. Juste qu’avec vous, grâce à vous, avec vous, je vais essayer de parcourir des pages pas si lumineuses du livre de ma vie. Elles ne sont pas tristes, loin de là, probablement vivantes, profondes et difficiles à arpenter. Faire le bilan de mon impuissance, là où le temps s’est arrêté.

Ça l’attristait de voir des familles se déchirer à cause de l’émigration. Cela le révoltait encore plus de constater à quel point les politiciens font tout pour que la vanne migratoire ne cesse jamais de déverser la jeunesse haïtienne, qui aurait dû être force motrice de son développement, vers les autres pays de la région. Avant, on risquait sa vie en vie, la soumettre aux épreuves des machettes en républiques dominicaine ; aujourd’hui, on se déracine, on s’oublie à la conquête de bien-être matériel comme un chien abandonnant sa proie pour son ombre. Une révolution, tranquille ou violente, quitte à mourir nous-mêmes…

Il s’était impliqué politiquement et socialement, à une époque où l’Eglise voyait mal tout chrétien voulant s’intégrer à la politique. Dire que les choses ont évolué de nos jours, le sel commence à faire ressortir sa saveur et les bergers s’emparent de leurs flambeaux… Probablement un long chemin, salutaire. Pour Haïti et pour le bien-être collectif, seule la maladie et la mort ont eu le pouvoir de le mettre sur la touche.

La prédominance, sur Haïti, de la République Dominicaine le dérangeait. Il a tout envisagé pour son traitement avant de considérer l’éventualité de se faire soigner en République dominicaine. On dirait qu’il refusait de se soumettre à l’évidence qu’on a perdu nos 50 dernières années et que techniquement, technologiquement, intellectuellement et économiquement la République dominicaine a surpassé Haïti. Nos intellectuels, Politiciens, propagandistes et acteurs de la société civile ont trahi les aspirations populaires d’émancipations et de progrès pour satisfaire leurs avarices. Ils se sont détournés de l’âme du pays au profit d’un individualisme meurtrier et destructeur. On s’en fout que le voisin crève, pourvu qu’on ait des miettes dans nos assiettes. Haïti se meurt. Pardon à ceux et celles qui se sont sacrifiés, ont choisi d’y rester. Mea culpa a tous ceux et toutes celles qui ont osé croire que, comme tout le monde, l’haïtien devrait avoir droit à un lendemain meilleur dans son pays. À la génération future, vous êtes libre de me condamner à être déserté. Pour le pays et le bonheur collectif, la fierté aurait été de mourir.

La mort. Humm. Qui suis-je pour parler de la mort ? Que sais-je pour oser tenter une définition de cet inévitable qui, avec la naissance, forme les bornes du continuum qu’est l’existence humaine. Naître, mourir, Peut-être souffrir également, sont les seules certitudes de la vie.

21 novembre 2021, comme il me l’a annoncé que début juillet, mon père est passé de vie à trépas. Chacun de nous, au sein de ma famille, a vécu la fin de sa mission sur terre de manière singulière. Il était plus qu’un père. Peut-être 7 ou 8, si l’on considère mon neveu avec qui il était très proche au soir de sa vie. C’était son papa aussi, papi Codo

Fin août, ma partenaire de l’époque est partie le voir. Elle témoigne l’existence d’un être souffrant essayant de faire fi de sa condition physique et dégageant de l’espoir comme si sa promesse de vie éternelle était pour cette vie. Beau parleur, cultivé, apte à écouter, partager, à échanger et enseigner. C’est quelqu’un qui ne se fatiguait jamais d’apprendre. Deux jours ne se passent pas sans qu’il perde sa tête dans un livre… 

Début novembre, on se saluait, il ne voulait plus faire de longue conversation. Sur conseils des médecins me disait-il. Il fallait éviter de faire des nouvelles et de suivre l’actualité politique nationale. La situation calamiteuse du pays empiète sur sa santé et agit sur l’état de son cœur. Tout ce qui le préoccupait c’était de mettre ses devoirs au propre, régler deux, trois trucs qu’il jugeait importants.

Il frappa des portes; Voyageait à la capitale. Il a contacté d’anciens amis et collaborateurs. Il a lutté pour sa vie quoique sachant que le sort était scellé. Il espérait surmonter, être traité… aucun support n’a été utile.

En voulant partir à la conquête de sérénité, de tranquillité et de sécurité, certaines personnes se sont enfuies d’elles-mêmes, de ce qu’elles ont de plus précieux, leurs familles, leurs pays et, une angoisse liée à la perte identitaire surgit. Un déchirement intérieur qu’elles n’arriveront peut-être jamais à réparer. Il aurait aimé être témoin que rester soit devenu une option rationnelle de bien être, pas un sacrifice.

Ma conception ou ma perception des choses est, peut-être que, un peu particulière. Probablement que je m’accroche malgré moi au passé ou à un monde du passé si l’on considère l’aspect changeant et reproducteur du monde. Le monde de mon père, celui de mon enfance, d’avant internet, de cette période ou la valeur de l’existence ne se mesurait pas au regard d’inconnu.

 Je garde le souvenir d’un homme strict et doux à l’esprit ouvert avec qui on peut tout aborder. Je conserve le souvenir d’un monsieur aux oreilles sensibles toujours prêt à entendre sans tenter d’imposer ses croyances et sa vision des choses. Une bibliothèque ambulante dont on peut s’offrir le plaisir de longue conversation loin de l’ennui. Il était toujours prêt à débattre, échanger, désapprendre, réapprendre. Pour lui, les livres constituaient une source inépuisable de savoir, en particulier, la bible.

Je ne pense pas, je dis. Je dis ce qui se passe dans mon esprit. Je livre ce qui m’est transmis ; j’émets ce que je reçois, tel quel. Sans ménagement ni contrebalance. Je ne suis qu’un messager.

21 ? Les numérologues auraient fait référence, peut-être, au nombre des anges, parler de nouvelles opportunités, d’opportunités à prendre, d’optimisme et de positivité. D’espoir et de paix ; tout ce que j’aurais aimé pour la jeunesse de mon pays. Mais, 21. C’est peut-être le nombre d’heures, de jours ou d’années qu’il me reste dans ma quête de moi-même. Que ma présence soit remarquée ou que mon absence se fasse ressentir, je m’en fous. Cela ne dépend pas de moi. J’aimerais pouvoir exister sans être prisonnier du regard et du jugement de quiconque. Je souhaite exister que par ma vision, mes pensées et mes actes. 

Alors, à bientôt ou à jamais. Ça a quand même été un plaisir.

Peterson

August 2, 2023.  8: 25  

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Auteur·e

belleayiti

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