Job Peter

Mourir comme seule option

Ces deux gars avec moi, ce sont des rebelles nées. Face aux stigmas et à la discrimination, sociale et religieuse, ils ont choisi d’être mon ami. Je dis la même chose, parce qu’à l’époque, être mon ami, c’était aller à contre-courant. C’est un réflexe de s’associer à des personnes qui se ressemblent ou se rallier à des personnes d’une situation sociale à laquelle nous aspirons. Moi, je ne coche pas la case. Noir foncé, souvent qualifié de bleu marin, pauvre et vodouisant, pour me respecter je devrais soit être brigand, soit être intelligent ; au départ je voulais être un mix des deux, puis, j’ai essayé de me cultiver, peaufiner mon intelligence, être moi.

Notre amitié est comme pour beaucoup de jeunes haïtiens, quelque chose d’atypique. Nous ne sommes pas allés dans les mêmes écoles, nous avons des situations familiales différentes et sur le plan religieux, nous sommes chrétiens, catholiques et vodouisants. Au départ, nous n’étions pas prédestinés à être amis. Moi, le pauvre du quartier, de parents campagnards et vodouisants, j’étais la bête que tout parent voulait éviter à leurs enfants. Je me suis replié sur moi-même, me réfugiant dans les livres ; et, avec le temps, j’ai pu frayer un chemin à travers livres puis, grâce au savoir que je rencontrais sur mon passage.

Chacun pour une raison, nous avions fixé rendez-vous, pour une dernière célébration de la vie dans notre pays Haïti, au Nord d’Haïti. Vingt-trois jours, Une bouffée d’air nécessaire. Sur le plan temporel, c’est comme un éclair; mais dans notre banque de souvenirs, ce sera disponible des années en slow-motion, comme pour faire amplifier chaque milliseconde.

Dans la noirceur, nos souvenirs nous permettent de rallumer notre espoir, recentrer notre raison d’être et nous accrocher à la vie. Dans la mort, si les morts pouvaient en témoigner, j’imagine qu’ils diront que c’est tout ce qui leur est resté.

Cette année, les fêtes champêtres n’ont pas fait grand monde. La population locale n’a pas répondu à l’appel. Corona, Pays locks, Exécution du président Jovenel, gestion laxiste et manque de dynamisme du gouvernement actuel… Les maux se sont endormis sur les épaules des Haïtiens les plus pauvres. Si ce n’était les transferts de la diaspora, on aurait déjà une situation de famine.

Par contre, éviter les problèmes ne peut que contribuer à les empirer. Qu’il s’agisse du banditisme ou des problèmes économiques, en évitant de les adresser, le gouvernement du premier ministre Docteur Ariel Henry se fait complice. Espérons que le moment venu chacun aura à répondre de leur passivité et de leurs compromissions.

La nouvelle génération de touristes, curieuse certes, est plus attirée par le divertissement, guidée par la fievre de l’excitation. Ils ont envie de s’afficher, paraître et prouver leur existence. Quitte, souvent, à ne pas profiter de l’expérience du voyage, explorer, découvrir, s’ouvrir aux nouveautés. On rencontre les mêmes visages partout. Si on essaie de faire le profil démographique de cette clientèle, on découvre rapidement qu’elle est constituée d’une infirme partie de ce qui reste de la classe moyenne, de jeunes diasporas de la République dominicaine et des États-Unis ; d’enfants et de proches de dignitaires et de beaucoup Port-au-Princiens essayant de s’évader et continuer à exister… Et de jeunes (désorientés et inconscients) en quête d’un sens à leur existence.

Durant une semaine, comme une parenthèse dans notre vie, nous avons choisi d’arpenter bars et clubs des quartiers populaires du Cap-Haïtien. L’envie de vivre est là, le désir de pouvoir exister et s’accomplir dans son pays aussi.

Football, musique, cinéma et surtout politique, ils ont la capacité de passer d’un sujet à l’autre avec une finesse et une intelligence qui contrastent avec la vacuité de nos  »Radioman » et chroniqueurs les plus populaires. Contrairement à il y a quarante ans, le peuple s’est instruit. Ils continuent à le faire à chaque fois que l’État, les gangs et des missionnaires étrangers s’entendent pour rendre cela possible. L’école, c’est ce qui nourrissait l’espoir dans des milliers de familles haïtiennes durant les dernières décennies.

Une table a attiré notre attention. On s’y est approché et on nous invita à nous asseoir. C’est un homme de la cinquantaine et, de la manière que tout le monde le salue, on peut dire que c’est un notable de la zone. Le barman lui témoignait une considération soutenue comme s’il n’aurait pas dû être là où qu’il n’en a pas l’habitude.

Rapidement, sans même nous laisser parler, il s’est présenté. Lui, c’est pasteur Loulou. Il n’est pas là pour se saouler, il sait que ce n’est pas bon, que c’est un péché. Il croit en avoir encore le contrôle et que la ligne ne sera pas franchie. Qu’est ce qui l’amène ici ? Le dégoût, dit-il. Il n’en peut plus. Il n’avait jamais imaginé qu’il serait en position de dire ça un jour. Si ce n’était pour sa foi, peut-être qu’il aurait déjà choisi sa mort. Il s’est sacrifié toute sa vie pour l’éducation de ses trois filles. Il ne comptait pas sur elles pour vivre, dit-il avec un ton fier, c’est juste son devoir de père. Il espérait une vie meilleure pour elles. En Haïti ou n’importe où, mais dans de bonnes conditions.

La fille aînée est morte il y a trois ans à l’hôpital Justinien, les médecins étaient en grève à ce moment-là. « On dirait que parfois le destin conspire contre nous. Aujourd’hui encore, c’est très difficile d’en parler. Parfois je me demande si je ne suis pas mort avec du souffle. Comme si j’étais déjà enterré vivant. Ma dernière fille est morte à Port-au-Prince. Elle a fait ses études universitaires à Port-au-Prince et y est restée après. D’après ce qu’on m’a rapporté, en revenant du travail, elle fut atteinte d’un projectile à la tête. On ne sait pas trop d’où ça vient. La police et des gangs armés s’affrontaient dans les hauteurs de Port-au-Prince ce jour-là. Oui, il n’était pas encore cinq heures quand cela s’est produit. Elle était si calme et gentille. C’était une personne réservée.

Cet après-midi. Mon autre fille est venue me voir parce qu’elle veut partir loin d’Haïti. Elle veut laisser son emploi, vendre ce qu’elle a et y aller. J’ai beau essayer de la convaincre. Elle me dit qu’elle veut pouvoir choisir sa mort, d’ailleurs, elle se considère déjà l’être. Quand tu ne peux plus planifier, rêver, grandir dans ton pays, c’est comme si tu arrêtais de vivre. Son espoir de pouvoir réussir en Haïti est mort et, une partie d’elle avec. Alors, chaque jour qu’elle passe ici, c’est comme un supplice. C’est triste. Elle a longtemps cru pouvoir réussir en Haïti. Elle voulait vivre dans ce pays; d’ailleurs, c’est pour ça qu’elle y est revenue après ses études au Canada. »

On y a cru. Émancipation sociale par l’éducation, oui, on s’était accroché. Je connais beaucoup de monde qui s’est appauvri pour envoyer leurs enfants étudier dans des universités privées de Port au prince et de la République dominicaine. Ils voulaient les préparer à avoir une vie meilleure en Haïti. Ils n’ont jamais imaginé qu’ils vont devoir vendre et donner en gage tout ce qu’ils ont pour envoyer leurs enfants dans un pays étranger pour pouvoir devenir quelqu’un. Récemment, j’ai présidé la cérémonie de deuil d’un parent dont le fils est mort durant la traversée vers le Mexique. On ne sait pas ce que son corps est advenu, peut-être, mangé par des animaux. Voilà, abandonnés par nos élites, comme toujours, affronter la mort est devenue la seule option pour un peuple aspirant à une vie meilleure. Avant, c’étaient les bracelets, puis, les  »boat peoples » et aujourd’hui “Ti chili”.

On n’a pas échoué en tant que société, nos élites ont juste renoncé à nos idéaux au profit des intérêts de certains individus. Les escrocs au pouvoir ont séquestré et dérobé les ressources qui auraient dû nous servir, tous et toutes.

On est libre de choisir. Rester et attendre qu’un projectile, une grève, des manifestations ou une grève nous emporte. Partir avec conscience que des bandits, des militaires, des guérilleros, la faim, la soif, les barbelés, les scies ou les maladies peuvent nous emporter. Ou, ne pouvant plus lutter ou résister, s’ôter la vie… 

Pour le désespéré, mourir n’est même pas une option. Il est déjà mort. Il a arrêté de vivre à la minute où il arrêta de croire, d’oser, d’entreprendre et de nourrir son espérance d’un avenir meilleur. Que, par chance ou par miracle, à la suite des événements inexplicables, à la suite d’une rencontre, d’une parole ; d’une réflexion ou à la venue d’un messager, se produit une étincelle qui rallumera l’espoir de cette jeunesse abandonnée à elle-même.

Mourir ne devrait être aucune option !

Peterson Mompremier


Quelle est la valeur d’une vie ?

Cap-Haïtien, Shadda, quartier populaire décimé, dont les vestiges témoignent encore la promiscuité dans laquelle vivaient les gens. Je me localise pour vous dire que je suis Haïtien et que ce texte vous est parvenu depuis la cité christophienne, à moins d’une heure de Vertières, Bois-Caïman, Breda… J’ai rendez-vous avec un vieil homme, sur recommandation d’un ami, pour m’éclairer de sa lumière et augmenter mon degré de sagesse grâce à son savoir. Non, pas que je vais lui apprendre, aucune prétention, c’est juste que la sagesse et le savoir s’augmentent par eux-mêmes à mesure qu’on les partage.

Lui, c’est Kouda, je ne le savais pas avant de venir, mais il est de ces Haïtiens qui sont allés en Afrique afin d’aider dans l’éducation, après la décolonisation. Il avait moins de trente ans à l’époque, né un samedi de décembre, 20 ans après le massacre de plus de vingt mille Haïtiens par le président dominicain Rafael Trujillo.

 Il m’invite à aller chez lui, l’endroit où il m’a reçu c’est son point d’ancrage social ou il partage sa journée avec ses amis et ses expériences avec des jeunes. Bien que démoli, pour lui, cet espace où des gens se rencontrent pour jouer aux dominos et débattre sur tout ce qui se passe dans le monde, est l’une des raisons qui le maintient en vie. Il a refusé de rester avec sa famille aux États-Unis, qu’il considère être l’un des pires endroits sur terre pour vieillir et vivre heureux. “C’est l’incarnation d’un mal dont on n’arrive pas encore à qualifier”, pour reprendre ses mots.

Une fois à l’intérieur, il ouvre un frigo, curieux, j’observe, il me sort une enveloppe. Notant la perplexité dans mon regard, il me tend l’enveloppe en me disant que le frigo est un cadeau de son fils. Il a pu le récupérer après trois mois, en payant un frais de dédouanement à la banque nationale malgré les frais payés au transporteur par son fils pour que ce soit délivré au seuil de sa porte sans sou supplémentaire. Et, il n’a jamais pu l’utiliser, faute d’électricité. Le transformateur privé qu’ils avaient cotisé pour acheter dans son ancien quartier s’était explosé, il a décidé de rester en dehors de tout ça. « Ce n’est pas aux citoyens de substituer à l’État, c’est bien malheureux qu’on en soit là », déplore Kouda. À l’intérieur de l’enveloppe, des photos de lui en Afrique. Il sourit comme s’il les voyait pour la première fois. Pourtant, vu la manière qu’il m’a tendu l’enveloppe avec fierté, on peut dire que partager ses souvenirs d’un autre temps est devenu sa principale activité porte bonheur. Je ressens sa fierté à travers son regard et le sourire qui envahit son visage.

Aucune question n’a été partagée au préalable, on s’est juste laissé aller ; dans les lignes qui suivent, je vais essayer de vous transcrire le contenu de cet échange riche, grâce à une interview spontanée et sincère. Regrets, remords, souhaits, malgré le poids de l’âge ; c’est un homme jeune, optimiste et visionnaire, qui ose encore se perdre dans ses rêves et imaginer un monde nouveau. L’amour, les plaisirs, la violence, le capitalisme, la valeur d’une vie… beaucoup de sujets ont été abordés et survolés. D’une voix calme, il explique, partage, élabore. Il nous parle de ses expériences avec la vie, la mort et la richesse. Pour lui, le plus difficile est de parler de la vie, de l’avenir, quand on se retrouve à la porte de la mort.

Sur la république dominicaine, il croit qu’une certaine élite a instrumentalisé l’histoire et qu’Haïti, son pays, n’a jamais colonisé personne. Haïti n’a pas tiré profit de l’Est de l’île, il a juste choisi de protéger l’île entière contre un éventuel retour des puissances coloniales de l’époque, et, par conséquent, s’est protégé et établi les bases du nouveau monde. Nous n’avons jamais eu la velléité de soumettre quiconque en esclavage. On reproche à Boyer d’avoir fermé l’école, avec raison ; mais ce n’est pas qu’il a fait ça à la république dominicaine. C’était juste la politique de l’époque. Il a rouvert les écoles en République dominicaine contrairement aux écoles construites dans le royaume du Nord ; l’ancien président dominicain Balaguer en a fait mention dans son livre “La Isla al reves”, paru en 1984. Mais bon, pour revenir à Boyer, lui, c’était probablement un agent français en mission pour détruire l’élan et étouffer nos aspirations de l’après Indépendance.

Le mal haïtien est loin d’être un fléau ou un choix haïtien, Les causes du mal haïtien remontent au paiement de la dette à la France et à l’occupation américaine qui nous a affaibli, exploité nos ressources, volé notre richesse et nous a placé sous une sempiternelle dépendance. L’argent qui aurait dû servir à notre développement, a financé le paiement de la dette à la France. Le premier paiement, selon des données historiques, représenta cinq fois le revenu du pays. Haïti a dû s’endetter pour payer à la France, d’où l’appellation de double dette. L’argent qui aurait dû servir à construire des écoles, des universités, financer la modernisation, développer l’industrie et l’agriculture, s’est envolé vers la France. Pendant près de 70 ans, Port-au-Prince paie à Paris le prix de l’humanisation de l’homme noir. Je crache à chaque fois que je leur entends parler de droits humains. Si un dixième de ce que nous avons enduré dans l’esclavage était arrivé à des blancs, l’esclavage aurait été considéré crime contre l’humanité et on arrêterait d’honorer certains noms dans l’espace public.

Kouda a toujours cru à un réveil Haïtien, contrasté par la réalité d’aujourd’hui, son espérance reste intacte. Que ce soit un miracle, une catastrophe ou une crise mondiale qui force à redessiner les cartes du monde et les rapports entre les peuples, cela adviendra. Il faut juste que l’on soit prêt, et que l’école soit au rendez-vous. On a besoin d’une autre élite. Les commerçants ont fait leur temps, il est à présent temps que les intellectuels, dogmatistes et visionnaires prennent le relais. La société haïtienne de demain doit être imaginée et planifiée par des visionnaires éclairées prêtent à se sacrifier en commençant par se renier d’eux-mêmes au profit d’une cause noble. Certains ont essayé dans un passé pas lointain, que ce soit pour le départ de Duvalier, le retour et le départ d’Aristide, ou même la période « Mickiste ». Leur sang n’a arrosé aucun espoir, mais ils y ont cru. Aujourd’hui, avant les grands sacrifices de toute nature, il faut semer les graines de l’espoir, du renouveau et de patriotisme. On ne doit plus se sacrifier juste pour pouvoir importer plus de friperies ou exporter et exiler la jeunesse haïtienne à renouveler le prolétariat en Amérique du Sud et du Nord. Il est cash, Haïti doit pouvoir insuffler l’envie du retour chez ses fils et filles, les roches et les arbres ne vont pas pouvoir faire le développement et que nous devenions la grande nation que nous sommes prédestinés à être. Ne nous laissons pas limités par les turpitudes du présent ; rêvons, imaginons, planifions et construisons l’avenir.

Personnage d’un autre temps, je me suis gardé de partager son avis sur l’amour et les femmes. Les temps ont évolué, on est dans l’obligation d’y évoluer avec. Lors de notre prochaine rencontre, je vais probablement lui apporter des articles imprimés ou un livre de l’Afro-féminisme Fania Noël. Je n’ai aucun problème avec sa conception du plaisir, cela révèle de la vie privée et dans le cadre du consentement et dans le respect de la loi, on est tous libres de jouir et profiter de notre liberté comme bon nous semble. Je ne suis esclave d’aucune morale. Cependant, je crois qu’il a raison sur un point, l’intime rime mieux avec discrétion. La surexposition, l’envie de paraître à tout prix est une tendance néfaste dont on doit se défaire. Docteur Valéry Moise en parle certainement mieux dans l’un de ses textes de blog. D’après Kouda, Les réseaux sociaux restent une illusion, il est persuadé que c’est dans le réel qu’il faut s’assurer de vivre, créer des souvenirs, s’épanouir et être heureux … 

Pour finir, il a voulu parler de la vie. On a inversé les rôles et il m’a questionné sur la valeur d’une vie. Je lui ai répondu, pour faire une petite blague, si c’est celle d’une personne à Port-au-Prince ou à Paris ; à Kiev ou à Gaza. Pourquoi placer une telle question dans un endroit géographique précis ? Pourquoi cette référence à l’histoire ? On a ri, j’ai profité pour clarifier que je n’essaie pas de classer ou stratifier la douleur et la souffrance des peuples. Toutes les vies se valent-répondis-je. Je crois que nous sommes tous égaux, dans la vie et devant la mort aucune vie n’est plus précieuse qu’une autre.

Quelle est la valeur d’une vie ? Dit-il, à nouveau, pour revenir à la question initiale. La valeur d’une vie dépend de qui on est, où l’on est et ce que l’on représente. Si tu es dans un bateau d’immigrant, faisant naufrage traversant la méditerranée, peut-être l’équivalent de deux larmes et une publication dans les faits divers. Si, au contraire, tu es un homme riche disparu en mer dans un sous-marin visitant les vestiges du Titanic, tu vaux la mobilisation des armées les plus puissantes du monde et la une de toutes grandes publications. Tu es libre de ne pas partager mon avis. Parfois, pour se faire une bonne conscience ou s’affranchir de regarder la réalité en face, nous choisissons de vivre dans le déni, d’être dans l’hypocrisie face à nous-mêmes.

Toutes les vies se valent, en théorie, ou peut-être au paradis où nous n’irons pas tous. Pourvu qu’on ne soit pas Palestinien, Noir, Arabes, pauvres ou immigrant, toutes les vies se valent. Au regard de Dieu, si tu es de la lignée de Jacob, d’ascendance juive et membre du peuple choisi, quelle est la valeur de ta vie ? Si ta vie s’est perdue dans un attentat ou un accident et qu’un journaliste français est chargé de la dépêche, une vie française se démarquera d’un million de vies d’étrangers, À cause, probablement, de la proximité avec la vie en question. La valeur d’une vie est une mesure complexe. Peut-être que nous devrions commencer par nous questionner sur la valeur d’un mort.

 Si l’on meurt sur les balles assassines de l’armée d’un commando ou de résistants qualifiés de terroristes ; si l’on meurt dans une opération de police ou lors d’une tentative de kidnapping ; que l’on soit médecin, ingénieur ou petit commerçant. La vie, comme la mort, dans les sociétés occidentales, et peut-être même sur terre, sont des variables. D’abord, dans le cercle privé, en rapport avec notre proximité avec le sujet en question, qu’il soit bon ou méchant, vieux ou jeune, riche ou pauvre, que la mort soit tragique ou pénible. Mais, au regard du monde, sur le plan social, c’est surtout ce que représente une personne dans la société qui détermine la valeur de sa vie ou le poids de sa mort. Nous sommes tous égaux devant l’inégalité qui régit notre planète, disait Jacques Sternberg. 

L’inégalité a toujours été au cœur de toutes les civilisations humaines. Aujourd’hui, c’est la manière dont les pires criminels se regroupent, s’entendent, s’imposent en censeurs du monde, prédominent et asservissent les autres qui devrait inquiéter. Le fossé s’élargit un peu trop chaque jour entre riches et pauvres, que ce soit personnes ou pays, nous courons droit vers une catastrophe et la prochaine grande guerre risque de se faire entre personnes d’un même territoire si un jour, grâce à internet et les nouveaux moyens de communications, les pauvres ne s’éveillent, se regroupent, et réussissent à refaire ‘’occupy world street’’ en mieux, de manière violente et adaptée à chaque espace. Ils ont réinventé l’esclavage et le colonialisme à travers la libéralisation. Les marginalisés du monde, si un jour ils se révoltent, chambouleront le monde, peut-être cette fois, sans violence, juste en acceptant de ne plus travailler et mourir…

Je ne suis pas pour la violence, mais je me suis abstenu de commenter ou prendre le contre-pied de ce qu’il avance. J’espère simplement que nous n’arriverons pas là. Je souhaite que les riches prennent conscience à quel point l’accumulation à outrance de richesse est malsaine et qu’elle est absolument impossible sans exploitation. Je ne suis pas totalement d’accord avec lui. Mais, la vie et la mort, dans tous leurs aspects, restent des sujets philosophiques et parfois théologiques et spirituels. Je laisse à chacun, après lecture, la liberté de se faire une réponse. Quelle est la valeur d’une vie ? 

11:00 AM

Octobre 12, 2023 Lockbourne


Plutôt mourir que de partir

Les intérêts collectifs se noient dans l’appétit vorace et la cupidité des exploiteurs qui se sont maquillés en patriotes. Ils sont devenus le reflet des démons qu’ils avaient juré de combattre. Remplies, leurs bouches ne s’ouvrent plus pour dénoncer l’injustice et promouvoir une Haïti dans l’inclusion et la justice. Népotisme, copinage, l’appareil de l’État est séquestré. L’eau qui aurait dû soulager notre soif, arroser l’espoir de tout un peuple et faire grandir la nouvelle génération sur qui devrait reposer notre renouveau, alimente les géantes piscines des intermédiaires entre le peuple et l’État. Peut-être que la prochaine révolution doit se passer par là. Libérer l’administration publique de la bouche des vautours qui ne laissent rien au peuple et accroissent le désespoir et l’exode.

L’émigration est devenue la principale source économique d’une certaine élite, juste un petit regard dans les rapports de banque et vous verrez. Une petite comparaison des noms des actionnaires de banques, représentants de compagnies aériennes, propriétaires d’hôtels, responsables d’agence et cadres aux ministères, vous saurez. Ce n’est pas un hasard si le pays n’arrête jamais de danser alors que du sang se répand partout en Haïti, arrosant d’accablement les terrains les plus résistants. Nous sommes devenus égoïstes, insensibles et inhumains ; tout pour le ventre et le bas ventre. Condamné à lutter pour sa survie, on ne conteste plus rien. Nous avons renoncé à notre mission de repenser, proposer, planifier, construire…  et décider de l’avenir.

En grandissant, partir ne figurait pas sur la liste des options. L’objectif a été d’exceller à l’école, devenir un professionnel qualifié et mettre mes compétences au service de la nation haïtienne. Je parle d’un temps ou l’argent ne constituait pas l’objectif premier d’une vie réussie. Le patriotisme, sens de l’engagement, l’honneur et la dignité humaine constituent le mobile d’une majeure partie de notre élite. On se projetait au pays, s’amusait à dire qu’on n’a pas de pays de rechange et que s’il fallait mourir pour l’avenir de nos enfants, que nous soyons reçus en héros sur le trône des martyrs.

Ma mère est mon alpha et mon oméga. Elle s’est sacrifiée pour que je puisse devenir quelqu’un, pour que ma vie soit moins difficile et que probablement je puisse l’aider un jour. Malheureusement, un jour, en revenant du marché, elle est tombée sur les balles assassines de gangs rivaux ; elle a été victime de tirs croisés. Tournant incontournable dans ma vie, perte de ma raison d’exister. Elle qui aimait ce pays plus que tout.

Face à la montée grandissante du banditisme, constatant la démission de nos élites, et malgré les propagandes du gouvernement de l’époque, j’ai choisi l’exil. Reçu par une cousine, je ne peux pas me plaindre. J’ai reçu du support et de l’encadrement. L’environnement matériel m’était favorable mais, l’esprit lui, est resté au pays. Durant les deux premières années, mes pensées sont restées focalisées sur Haïti. Tous mes projets sont tournés vers elle comme si j’y habitais encore ou que je projette d’y retourner dans un avenir proche. Mon esprit ne s’était jamais préparé à l’idée de m’établir un jour dans un pays étranger. L’adaptation demeure difficile. Je ne suis nulle part confortable. Pourtant, j’ai un boulot pas pénible, un salaire raisonnable et des personnes formidables pour me soutenir.

Personnages du théâtre de la vie, nous sommes à la fois acteurs et figurants de notre propre vie. Je suis le résultat des contradictions qui constituent mon être. Ma vie se perd dans une tourmente à cause de la dualité de mon vécu. Entre mes aspirations, ma survie et mon passé qui vit en moi et refuse de se laisser passer, c’est un duel permanent. Au fond de moi, mes illusions, mon idéal et mes valeurs. En quête d’équilibre, seule la concession insuffle, permet de subsister. Pour aller de l’avant, ce qu’on veut, ce qu’on vaut et celui qu’on est doit composer et compromettre avec ce qu’on peut. Mettre notre ego en arrière- plan afin d’affronter nos obligations et faire preuve de patience. Avancer, garder espoir, nourrir nos rêves et ne jamais arrêter de travailler sur soi. C’est aussi ça être un être responsable, ne pas se laisser prisonnier des caprices de ses désirs ; s’adapter à la réalité sans se perdre ou se laisser handicaper par les limites du présent.

Individualisme, libéralisme, exploitation, paupérisation, chaque jour, on est témoin d’injustice de toute sorte. On peut dire que le système est fait de ça. Les rares succès individuels, constituant une caste d’exception, ne font que confirmer le constat. Les chocs et toute la pression sociale broient les gens jusqu’à les rendre insensibles à leur sort. Leurrer par la propagande médiatique et les médias sociaux, impassibles aux millions de personnes écrasées par la machine du productivisme, ils espèrent tous s’en sortir et devenir riches comme crésus. Jusqu’à ce qu’il soit trop tard et qu’au lieu de questionner la fortune des puissants, la société les appelle à la barre et les condamne d’être pauvres après 30-40 ans de salaires de misère et une pension insuffisante à acheter deux petits pains.

Ça m’arrive parfois de questionner ma mission sur terre. Et si j’étais chargé de décider si elle doit se poursuivre ou pas ? La vie ne se termine pas toujours au dernier souffle. Beaucoup de ceux et celles que nous croisons dans les rues sont des morts-vivants. Sans rêve, sans objectif, aucun idéal… A quoi sert une vie vide de sens et de faire-semblant sinon qu’à perdurer une existence sans sens dans un monde qui a perdu de son essence ? Ce qui tue, ce qui pousse au suicide, ce n’est pas la misère ou la souffrance, mais le désespoir. Si ma vie ne tenait qu’à moi, il y a longtemps que je serais revenu. Je ne suis pas la seule d’ailleurs. Mais, la vie est le résultat d’un contraste, elle est faite de contradictions. Pour l’amour des siens, on est parfois obligé de trahir ses convictions, défaire son orgueil, trahir ses passions. La vie, telle qu’elle est dans cette société, est inhumaine et injuste. On est parfois obligé de se sacrifier pour mettre sa famille à l’abri.

Il faut un engagement collectif, de l’engagement civique et humaniste. Le bonheur et l’épanouissement humain doivent être priorisés sur la recherche effrénée du profit. Le fruit de nos ressources doit en faire bénéficier le plus grand nombre. L’appareil de l’État ne peut continuer à être prisonnier d’une caste. Nos dirigeants doivent arrêter d’être les complices d’une élite de profiteurs qui, comme une sangsue, inhale les ressources de l’État.

Comment aurions-nous un lendemain collectif meilleur si la vie de l’autre ne vaut rien. Il faut réinventer nos mécanismes de pensée et prioriser les intérêts de la nation au profit de chaque haïtien.

J’ai toute ma vie rêvé d’une société haïtienne basée sur la solidarité, l’entraide, la fraternité. J’ai toujours voulu être dirigé par des serviteurs du peuple qui tiennent à protéger et renforcer nos acquis sociaux. J’ai toujours préconisé la décentralisation. J’ai en horreur la république de Port au Prince, ses parasites et les corrompus qui sont prêts à tout pour la maintenir en vie. Mais, on ne peut conférer à des mairies illégitimes, sans mandats, ne représentant que leurs cliques à privatiser les ressources communales, signer des contrats çà et là. Il faut, de retour à l’ordre constitutionnel, évaluer, auditer et responsabiliser chaque membre de mairie. On ne peut pas rester passif et laisser accaparer les ressources communales à des fins mercantiles. Les élections venues, tous et toutes derrière les urnes, on doit faire élire des représentants humaniste avec l’intérêt collectif comme principale préoccupation. Les appareils de l’État ne peuvent et ne doivent en aucun cas constituer un chemin vers l’enrichissement rapide et illicite. Quand nos élus s’enrichissent, ce sont les communautés qui sont délaissées. IL faut un holà ! 

Pour une société dont l’ascenseur social est presqu’inexistant, l’individualisme ne peut que paupériser le plus grand nombre. Un patron qui gagne 1000 par heure face à un salarié qui produit pour moins de 20 dollars l’heure, c’est de l’exploitation. Un entrepreneur qui facture l’état pour un service qu’il n’a même pas rendu ou incapable de réaliser est du vol. Entre le contrebandier et le commerçant qui bénéficie d’une franchise de 30 ans, la différence est souvent dans l’épiderme et les accointances. Des incitatifs, oui. Mais, toujours en priorisant les intérêts de l’État et de la patrie Haïtienne. Décentraliser l’Etat et déléguer du pouvoir aux collectivités territoriales peut renforcer l’État, créer un rapport de proximité avec la population et rassurer tout un chacun que l’État est au service de tout le monde peu importe nos origines sociales, notre éducation et nos ressources économiques. La démocratisation des services publics.

La société civile doit se remobiliser et constituer un rempart permanent pour la bonne gouvernance. La démocratie est plus que l’étape des élections et le cycle infini des manifestations. C’est aussi la participation de la population dans les prises de décision. C’est Contester, Proposer, Organiser des référendums, Proposer des lois, se mobiliser pour exiger de l’Etat à faire, refaire, construire, reconstruire, aménager ce dont nos communautés ont besoin pour améliorer le niveau de vie de la population et créer un lendemain meilleur. Se porter candidat dans des élections justes et équitables pour défendre sa vision de la société. C’est être libre de supporter, suivre et voter le candidat ou le programme de son choix. Le pouvoir de décider de nos futurs dirigeants doit revenir aux Haïtiens du pays et de l’extérieur.

L’individualisme et le libéralisme ont phagocyté notre patriotisme et notre sens du devoir. Être patriote, ça ne se dit presque plus, mais, il faut y revenir. Le sens du devoir. Il faut développer notre appartenance à Haïti. On doit s’organiser, affronter et vaincre ceux et celles qui durant deux siècles ont tout fait avec leurs complices de l’intérieur pour éviter à ce que nous soyons unis et que nous ayons une volonté collective de vivre ensemble dans notre pays Haïti. Plutôt mourir que de partir ? La route sera longue et exige à ce que l’on renonce à soi. Pour la patrie et en l’honneur de nos ancêtres, aucun sacrifice ne sera trop grand. Nos mains sont tendues, vers le sud comme au nord, nous appellerons amis, ceux qui nous comprendront et pour qui l’intérêt de la population haïtienne est à respecter et à prioriser.

Peterson Mompremier

25 Aout 2023


21…

Non.

On n’est pas là pour parler d’astrologie, peut-être une exploration psychique. Loin de là, je vais bien, je ne suis pas fou. Juste qu’avec vous, grâce à vous, avec vous, je vais essayer de parcourir des pages pas si lumineuses du livre de ma vie. Elles ne sont pas tristes, loin de là, probablement vivantes, profondes et difficiles à arpenter. Faire le bilan de mon impuissance, là où le temps s’est arrêté.

Ça l’attristait de voir des familles se déchirer à cause de l’émigration. Cela le révoltait encore plus de constater à quel point les politiciens font tout pour que la vanne migratoire ne cesse jamais de déverser la jeunesse haïtienne, qui aurait dû être force motrice de son développement, vers les autres pays de la région. Avant, on risquait sa vie en vie, la soumettre aux épreuves des machettes en républiques dominicaine ; aujourd’hui, on se déracine, on s’oublie à la conquête de bien-être matériel comme un chien abandonnant sa proie pour son ombre. Une révolution, tranquille ou violente, quitte à mourir nous-mêmes…

Il s’était impliqué politiquement et socialement, à une époque où l’Eglise voyait mal tout chrétien voulant s’intégrer à la politique. Dire que les choses ont évolué de nos jours, le sel commence à faire ressortir sa saveur et les bergers s’emparent de leurs flambeaux… Probablement un long chemin, salutaire. Pour Haïti et pour le bien-être collectif, seule la maladie et la mort ont eu le pouvoir de le mettre sur la touche.

La prédominance, sur Haïti, de la République Dominicaine le dérangeait. Il a tout envisagé pour son traitement avant de considérer l’éventualité de se faire soigner en République dominicaine. On dirait qu’il refusait de se soumettre à l’évidence qu’on a perdu nos 50 dernières années et que techniquement, technologiquement, intellectuellement et économiquement la République dominicaine a surpassé Haïti. Nos intellectuels, Politiciens, propagandistes et acteurs de la société civile ont trahi les aspirations populaires d’émancipations et de progrès pour satisfaire leurs avarices. Ils se sont détournés de l’âme du pays au profit d’un individualisme meurtrier et destructeur. On s’en fout que le voisin crève, pourvu qu’on ait des miettes dans nos assiettes. Haïti se meurt. Pardon à ceux et celles qui se sont sacrifiés, ont choisi d’y rester. Mea culpa a tous ceux et toutes celles qui ont osé croire que, comme tout le monde, l’haïtien devrait avoir droit à un lendemain meilleur dans son pays. À la génération future, vous êtes libre de me condamner à être déserté. Pour le pays et le bonheur collectif, la fierté aurait été de mourir.

La mort. Humm. Qui suis-je pour parler de la mort ? Que sais-je pour oser tenter une définition de cet inévitable qui, avec la naissance, forme les bornes du continuum qu’est l’existence humaine. Naître, mourir, Peut-être souffrir également, sont les seules certitudes de la vie.

21 novembre 2021, comme il me l’a annoncé que début juillet, mon père est passé de vie à trépas. Chacun de nous, au sein de ma famille, a vécu la fin de sa mission sur terre de manière singulière. Il était plus qu’un père. Peut-être 7 ou 8, si l’on considère mon neveu avec qui il était très proche au soir de sa vie. C’était son papa aussi, papi Codo

Fin août, ma partenaire de l’époque est partie le voir. Elle témoigne l’existence d’un être souffrant essayant de faire fi de sa condition physique et dégageant de l’espoir comme si sa promesse de vie éternelle était pour cette vie. Beau parleur, cultivé, apte à écouter, partager, à échanger et enseigner. C’est quelqu’un qui ne se fatiguait jamais d’apprendre. Deux jours ne se passent pas sans qu’il perde sa tête dans un livre… 

Début novembre, on se saluait, il ne voulait plus faire de longue conversation. Sur conseils des médecins me disait-il. Il fallait éviter de faire des nouvelles et de suivre l’actualité politique nationale. La situation calamiteuse du pays empiète sur sa santé et agit sur l’état de son cœur. Tout ce qui le préoccupait c’était de mettre ses devoirs au propre, régler deux, trois trucs qu’il jugeait importants.

Il frappa des portes; Voyageait à la capitale. Il a contacté d’anciens amis et collaborateurs. Il a lutté pour sa vie quoique sachant que le sort était scellé. Il espérait surmonter, être traité… aucun support n’a été utile.

En voulant partir à la conquête de sérénité, de tranquillité et de sécurité, certaines personnes se sont enfuies d’elles-mêmes, de ce qu’elles ont de plus précieux, leurs familles, leurs pays et, une angoisse liée à la perte identitaire surgit. Un déchirement intérieur qu’elles n’arriveront peut-être jamais à réparer. Il aurait aimé être témoin que rester soit devenu une option rationnelle de bien être, pas un sacrifice.

Ma conception ou ma perception des choses est, peut-être que, un peu particulière. Probablement que je m’accroche malgré moi au passé ou à un monde du passé si l’on considère l’aspect changeant et reproducteur du monde. Le monde de mon père, celui de mon enfance, d’avant internet, de cette période ou la valeur de l’existence ne se mesurait pas au regard d’inconnu.

 Je garde le souvenir d’un homme strict et doux à l’esprit ouvert avec qui on peut tout aborder. Je conserve le souvenir d’un monsieur aux oreilles sensibles toujours prêt à entendre sans tenter d’imposer ses croyances et sa vision des choses. Une bibliothèque ambulante dont on peut s’offrir le plaisir de longue conversation loin de l’ennui. Il était toujours prêt à débattre, échanger, désapprendre, réapprendre. Pour lui, les livres constituaient une source inépuisable de savoir, en particulier, la bible.

Je ne pense pas, je dis. Je dis ce qui se passe dans mon esprit. Je livre ce qui m’est transmis ; j’émets ce que je reçois, tel quel. Sans ménagement ni contrebalance. Je ne suis qu’un messager.

21 ? Les numérologues auraient fait référence, peut-être, au nombre des anges, parler de nouvelles opportunités, d’opportunités à prendre, d’optimisme et de positivité. D’espoir et de paix ; tout ce que j’aurais aimé pour la jeunesse de mon pays. Mais, 21. C’est peut-être le nombre d’heures, de jours ou d’années qu’il me reste dans ma quête de moi-même. Que ma présence soit remarquée ou que mon absence se fasse ressentir, je m’en fous. Cela ne dépend pas de moi. J’aimerais pouvoir exister sans être prisonnier du regard et du jugement de quiconque. Je souhaite exister que par ma vision, mes pensées et mes actes. 

Alors, à bientôt ou à jamais. Ça a quand même été un plaisir.

Peterson

August 2, 2023.  8: 25  


La magnifique lettre de Job Peterson, haïtien exilé, à son épouse restée au pays

Il y a 6 ans, j’ai annoncé à ma femme que je pars, je quitte Haïti pour l’Europe. C’est une décision prise à contre cœur qui aujourd’hui encore demeure l’une des plus difficiles de mes quarante ans sur terre. Elle m’a alors regardé dans les yeux, et d’un air à la fois triste et drôle, m’a dit : “On exige des immigrés de marcher sur leur (premier) drapeau lors de la cérémonie d’accueil et de citoyenneté.” On a ri tous les deux, puis on s’est fait une accolade et gardé nos pleurs.

C’était une situation éprouvante. On ne s’était alors jamais séparés pendant une longue durée depuis que nous avons été ensemble et, elle le sait plus que n’importe qui, je n’ai jamais envisagé mon avenir en dehors de mon pays, Haïti. J’ai toujours souhaité voir grandir mes enfants et être là pour les guider et les inspirer. Je n’ai jamais souhaité me séparer des miens. Aujourd’hui encore, j’ose croire que mon avenir est en Haïti. Mais, je me suis avoué vaincu il y a déjà longtemps. La situation au pays exigeait d’être pragmatique…

D’un côté, c’était triste. De l’autre, elle avait l’air soulagée. Elle s’était toujours exprimée contre ma volonté de m’impliquer dans la politique. Elle ne voulait pas que je devienne comme son père et qu’au nom de mon amour pour le pays, je ne finisse par condamner mes enfants à souffrir. Son père était un vrai patriote, il a toujours choisi l’intégrité pour protéger son honneur et s’assurer que ses enfants puissent regarder tout le monde dans les yeux. Homme de grande culture, quand il parle on dirait une bibliothèque parlante.

Moi et mon beau-père, nous ne parlons pas souvent, mais on était toujours là l’un pour l’autre. Théologie de la libération, révolution Rouge, révolution castriste, Lutte Marxiste Léniniste, Noirisme, Négritude, révolution tranquille, syndicalisme…beaucoup de choses nous ont unis et ont permis que nous nous entendions comme si c’était moi son enfant. Peiné et à contre cœur, lui aussi, il m’a encouragé à partir. Il ne souhaite pas qu’au soir de ma vie, comme beaucoup parmi sa génération lorsqu’ils ont vieilli, je regrette d’avoir quitté ma famille pour aller vers le contenient européen. Pour moi, ce n’est pas fataliste de croire que le changement d’Haïti n’est pas pour maintenant…

Un « voyageur » sculpté par Bruno Catalano, pour représenter le manque du pays chez tout exilé. Erwin Verbruggen / Flickr CC

La veille de ce grand voyage de non-retour, nous organisâmes « des retrouvailles d’au revoir ». Je me repasse encore les souvenirs, chaque expression d’inquiétude sur les visages. Je repense à chacun des conseils que j’ai reçu ce soir-là. 

Le lendemain, le sommeil emporta un bon ami censé me déposer à l’aéroport. J’ai dû improviser le trajet vers mon vol. Rien ne s’est passé comme prévu. Arrivé dans ce pays étranger, aucun plan n’a tenu et la majorité des personnes sur qui je croyais pouvoir compter se sont évaporées. Dieu merci, le peu de soutien que j’ai eu m’a permis de résister et de traverser les situations les plus difficiles.

Le plus triste dans ce voyage c’est que j’ai laissé, en dépit du support de mes amis et de ma famille, une grande partie de moi au pays. Si vous connaissez les sculptures « les voyageurs » de Bruno Catalano, vous voyez sûrement de quoi je parle et à quoi je fais allusion. Cela engendre un vide immense, une situation de manque permanent qui souvent nous pousse à nous éloigner de tout le monde et ne pas pouvoir contempler tout ce que notre nouvelle vie nous offre. Que c’est triste de vivre avec la culpabilité d’avoir laissé les siens derrière. On n’arrive plus à se regarder, on perd confiance, on a peur de tout et de tout le monde. On s’ostracise, on se censure. On devient un mort vivant attendant que la mort fasse de nous un convive.

Six ans se sont écoulés. Les choses vont mieux. J’espère bientôt fouler le sol de mon pays, revoir mes enfants -heureusement qu’il existe les appels vidéo, sinon peut-être que nous ne serions pas en mesure de nous reconnaître, tellement de changement. Revoir mes parents. Comment vont réagir mes oncles et cousins avec qui je n’ai jamais parlé? Que pensent-ils ? Je m’en fous. Ce sera par-dessus tout une joie intense de les revoir et de pouvoir les prendre dans mes bras. Tout ce qui compte pour l’instant c’est de pouvoir les regarder dans les yeux et leur expliquer combien ma journée n’a pas été facile et que m’éloigner fut le choix salutaire. 

Tout ça aurait du suffire à me rendre joyeux. Mais, non. Ma femme adorée est morte l’année dernière. Comme son père avant lui, je n’ai pas pu assister aux derniers hommages. La vie est ainsi faite.

A défaut de pouvoir t’embrasser une dernière fois et en reconnaissance de tout l’amour et tous les sacrifices consentis à mon égard, j’écris ce texte.

P.S. Dans 17 jours ce sera ton anniversaire, alors, de là où tu es, si tu me vois, je t’ envoie pleins de bisous. A jamais et pour toujours, je t’aime.

Job Peterson

07.07
5.44


Pourriez-vous titrer ce texte ?

Son nom? Coraz!

 

Fort et confiant, il était optimiste sur sa capacité à achever la course. Jusqu’à ce que, contre toute attente, survînt le doute. Imprévisible, il ne s’y attendait pas de sa visite. Stress. Peur. Angoisse. Tout s’écroule comme un château de carte. Quand il se reconnaît, il était jonché au sol entouré par des secouristes. On lui raconte que ses pieds se sont heurtés l’un contre l’autre. La suite ? Je vous laisse l’imaginer…

 

Des années durant, ce souvenir désagréable a plané sur sa vie comme un nuage de fumée. Prisonnier dans son propre corps, il existait, c’est tout. Et, un jour, il rencontra un vieux monsieur qui décide de lui ouvrir sa bibliothèque. De livre en livre, il se remet à rêver. Un crépuscule se dessina sur son avenir. Il croit que le soleil va luire à nouveau. Le sourire lui revient.

 

Quand il est venu l’heure de se relever, sa main fut moite et ses jambes tremblantes. Il n’y arrive pas. La peur l’envahit. A présent, il n’a plus peur de tomber, mais des critiques. Des autres. De ces personnes qui n’ont jamais enfilé une tenue de course et dont la seule préoccupation est de critiquer les rares personnes qui osent fouler la piste d’athlétisme.

 

Des rêves mort-nés. Des projets abandonnés. La vie de certaines personnes est devenue un immense cimetière ambulant. Elles rêvent mais n’osent pas. Incapable. Impuissant. Par peur du regard des autres.

 

En dépit de tout et malgré tous les efforts, Coraz n’est jamais arrivé à se remettre à courir. Les conseils, critiques et avertissements de personnes qui l’aiment comme d’autres qui l’envient pour son talent constituent une embuscade géante. Il veut, mais hésite. Et si le scénario se reproduit ? Et si le scénario se demanda-t-il à chaque fois.

 

Jusqu’au jour où une catastrophe s’annonça et que courir est devenue sa seule option. La peur se transforme désormais en véritable motivation. Il ne s’inquiète plus d’être vulnérable. Il n’a plus peur de rester en chemin. Je m’en fou de ce que peuvent penser les gens il se dit dans son esprit.

 

Le résultat est impressionnant. En un rien de temps il a traversé la ville pour se réfugier sur la montagne. Coraz est plus que tout le monde épaté par sa prouesse. Le regret l’envahit. Il  pense à toutes les compétitions qu’il aurait pu remporter. Il imagine la fortune qu’il était censé amasser ; à quel point il aurait pu changer la réalité de sa famille et faire une bonne préparation pour les générations futures. Malheureusement..!

 

On apprend par la suite qu’il s’agissait d’une fausse alerte et qu’aucun tsunami ne menaçait la ville.

 

J Peterson

15:21

05-05-2019


J’ai aimé un meurtrier 

Au milieu de nulle part, je lamente combien la vie est injuste. Je m’interrogeais sur ce que j’ai pu faire au bon Dieu pour être là où je me SUIS retrouvée. Ce dont j’aurais eu besoin aujourd’hui ne serait ni un nouvel emploi, encore moins une promotion. Mais une raison de m’accrocher à la vie, de croire en l’avenir et d’espérer un meilleur lendemain…

Heureusement que mes parents ne sont plus là. Oui ! Vu ma situation, je peux m’estimer heureuse, que de son vivant, ma maman n’a pas eu à vivre cette déception que je suis devenue. Mon papa, quant à lui, peut-être que je le croise en rue quotidiennement, mais je m’en tape de son existence. Selon la petite histoire, il avait exigé à ma maman de m’avorter, peut-être qu’elle aurait dû après tout.

Dans l’autre monde, le temps est à la glorification et à l’exaltation. Dommage que je n’ai pas pris conscience à temps. En cet instant, je suis là pour apporter un message en guise d’avertissement, témoignage de mon vécu.

Quand on s’est rencontré, il ne l’était peut-être pas encore. Je n’ai eu aucun soupçon de sa vie antérieure. Ce fut un homme charmant et intelligent. Il avait les mots doux et le discours facile. J’ai été attiré par son charme et surtout l’élégance dont il fit preuve. Tout le ‘’package’’, quoi ! Ce fut à ma graduation. Il était maître de cérémonie de la collation des grades. Un moment que je n’oublierai jamais.

Ça s’est concrétisé par des appels et des rencontres en ville. Le religieux qu’il est, m’exigeait de le rencontrer en catimini afin de ne pas nous attirer les regards et la malédiction du diaconat de sa paroisse. Absurdité totale ! Car, dans l’église se logent tellement d’hypocrites. Hmmm.

Pour fuir mes parents et vu la situation conflictuelle à la maison, j’ai dû emménager chez lui. Au tout début, ce fut, un sentiment de bonheur et une sensation de liberté. Ce sentiment de sécurité ! Ce ne serait pas exagérer de dire que ce fut le grand amour. Il était le refuge dont j’avais besoin et il me comblait de l’affection paternelle dont je carençais.

Et vint le moment où mon monde s’est basculé. Au commencement, je n’ai rien révélé à personne. J’utilisais des artifices tels : de nouveaux maquillages, des teintes plus foncées afin de cacher mes ecchymoses, preuves infaillibles des tortures qu’il m’infligeait. J’avais honte et je craignais les commentaires de mes proches parents et amis. J’étais terrifiée par l’idée d’affronter les critiques et les jugements de ceux qui m’avaient avertie. Ils auraient eu raison après tout. Mais, j’étais tiraillée car, je l’aimais aveuglément. Par reconnaissance de nos premiers jours de bonheur et dans l’espoir qu’il finira par changer, je l’ai défendu au prix de ma vie.

Il devenait de plus en plus violent. Il remettait constamment en doute tout ce que je lui disais et me frappait sans raison. Mon sort était passible de son humeur du jour. Parfois, il me torture et exige à ce que je lui fasse l’amour en pleure, en dépit de mes douleurs. J’étais effrayée, terrifiée, vidée de mon être. Je redoutais pour ma vie. Toutefois, je n’arrivais pas à le dénoncer. J’avais peur de sa réaction tout comme je n’envisageais pas l’avenir sans lui…

Un jour, j’ai fui le toit conjugal et j’ai trouvé refuge au sein de ma famille. Vous savez, comme l’enfant prodigue, j’ai été accueillie à bras ouverts. J’ai appris à mes dépens que La famille est et restera un bon rempart. Quand tout va mal, lorsqu’il n’existera plus aucun ami ou que nous ne sommes plus en mesure de faire la fête, c’est tout ce qui nous reste. Mes douleurs, mes enflures, mes décolorations. J’ai camouflé chaque marque, chaque cicatrice. J’ai fait comme si je suis revenue de bon et plein gré. Mes blessures aux mollets, aux jambes, aux bras furent mon secret de polichinelle. Ma réalité de femme battue, pas question que je la dévoilais quoiqu’elle soit devenue une évidence.

A la tombée de la nuit, assise tranquillement sous la véranda de grand-maman en train de feuilleter le dernier numéro de Juve Mag,  j’ai ressenti brusquement deux mains s’enlacées autour de mon cou. J’ai essayé de crier, mais aucun son ne fut émis. Je me débattis en vain car son poids me pesait. Les secondes me paraissaient interminables, je perdais mon souffle. Soudain, j’entendis les pas de grand-maman se rapprocher en notre direction. Et les mains me lâchèrent. A bout de souffle, les yeux entre ouverts, j’ai remarqué la silhouette de mon meurtrier, mon cher conjoint. Et je perdis connaissance.

A l’hôpital, le verdict est tombé…

Aujourd’hui, libre dans la nature,  mon ex partenaire circule en toute impunité. Et, en ce moment,  certains bourreaux sont entrain de maltraiter leurs compagnes. Si vous faites silence, vous pourriez, comme moi, être complice de votre décès. Utilisez votre esprit de discernement. Dénoncez les agresseurs. Recherchez du support au niveau de votre famille, dans votre entourage et auprès d’institution et organisation spécialisée. Tolérance zéro.  La vie plus que tout. Libérez-vous de toute situation de violences physiques, psychologiques, économiques et administratives.  Sinon, le prochain meurtrier pourrait être vous ou votre partenaire…

J’ai aimé mon meurtrier…

 

Job Peterson Mompremier


Après le divorce, le deuil…

Il y a peu, la Saint-Valentin. L’occasion de penser à nos beaux moments, la troisième sans toi à mes côtés. Après le divorce, le deuil est ce qui peut arriver de plus cruel. Ce n’est le résultat d’aucune étude, juste des idées d’un homme seul et ivre.

Un, deux verres de vin pas chers… deux bouteilles et je me suis mis, tel un philosophe, à questionner mon existence. Que c’est triste de faire resurgir des moments désagréables, heureusement que c’est jouissif et fantasmagorique si c’est pour ressusciter nos heureux souvenirs.

Je ne croyais pas qu’un jour nous serions séparés. Je n’ai jamais imaginé qu’un simple soupçon d’infidélité aurait chamboulé ma vie. Je repense encore et je me dis à quel point la vie est mystérieuse.

Respect. Voilà le mot. Tu tenais à ce que tu sois respectée. Et quand ta famille s’en est mêlée, le divorce fut irréversible. Je clame encore mon innocence. Je te jure sur la tête de notre fils que pour l’amour de notre fille jamais je n’allais te tromper. Je refuse de l’imaginer vivre avec un homme infidèle qui la fasse souffrir.

Depuis qu’on a divorcé, j’ai nourri l’espoir qu’on se remettra ensemble un jour. Je ne t’écris presque plus, aucun appel entre nous si ce n’est pour les enfants. Mais, jamais une journée sans scruter chacun de tes comptes sur les réseaux sociaux. Tes statuts, tes tweets, chacune de tes photos Instagram. Je peux t’avouer être incapable de dénombrer le nombre de tes captures d’écran dans mes fichiers.

Je suis sorti avec des filles, aucune d’elles n’est arrivée à t’enlever de mon esprit. Dans mes réflexions les plus profondes, il n’y a que toi dans mon subconscient. Après 10 ans de vie commune et malgré notre séparation, tu hantes encore mon esprit. Je ne rêve que de toi. Jusqu’à ce que…

J’aurais préféré ne jamais visionner cette story Instagram, le mal est malheureusement déjà fait. Ce soir je suis tombé sur tes souvenirs de la Saint-Valentin. J’imagine que ce fut chaud. La robe que tu portais et ta finesse habituelle m’ont bouleversé l’esprit. Ton Valentin fut certainement heureux d’être en ta compagnie. Je devine que c’est lui le mec dont notre fils m’avait parlé. Game over. Je crois qu’il est temps de se dire adieu à jamais.

A ce stade, l’amour ne suffit certainement plus. Je garde, en dépit de tout, les souvenirs de nos moments magiques. Bon vent ! Je souhaite qu’il t’aime plus que moi. J’espère qu’il aime les chats et que les chiens de nos enfants s’habitueront à lui.

Il est temps que j’entame le deuil de notre relation. Que c’est pénible…


Avec le temps, je ne reproche rien à mon ex-mari

J’ai appris qu’il ne peut y avoir meilleur allié que le temps. Il console et il guérit. Il assagit et rend fort. Le temps conseille et il oriente. Il peut nous rendre fou d’amour tout comme il peut nous conduire à une totale indifférence. Il faut toujours donner du temps au temps, lui seul maîtrise le jeu du coupable et de l’innocent. Il sait tout et il finira surement par tout dévoiler et tout nous apprendre.

J’ai rencontré l’homme qui est devenu mon mari dans le cadre de mon travail. Fraîchement diplômée, j’ai été faire mon stage dans une entreprise bancaire de la capitale. Suite au refus de m’embaucher, le temps m’a offert l’opportunité de postuler et de bénéficier d’une bourse pour un diplôme en finance au Canada. Une fois terminé, comme convenu dans le protocole d’accord, j’ai plié bagage pour revenir en Haïti. Comme par coïncidence, nous étions sur le même vol. On s’est entrevus avant l’embarquement, il m’a donné sa carte et on a échangé nos coordonnées.

Ma thèse portait sur des mécanismes pour se libérer de l’importation. Ses conseils et ses contacts m’ont été salutaires dans le cadre de ma nouvelle fonction et pour l’accomplissement de mes taches. J’aurai le temps un jour de vous parler un peu plus de mes différentes propositions pour attirer des investisseurs de la diaspora haïtienne et créer un tissus économique viable en Haïti.

Une fois installés, on a commencé à se voir. J’étais attirée par sa simplicité, sa vision des choses et son sens de l’humour. Il a le secret pour passer d’une situation des plus angoissantes à un moment de joie intense. Il est tombé amoureux de mon intelligence et de ma détermination pour repousser les limites. Je me suis attachée à l’homme exceptionnel qu’il est. On est sorti 4 ans ensemble. C’était le parfait amour, il a le mérite d’être celui à qui j’ai offert ma virginité. Je pense qu’aujourd’hui encore, il garde en souvenir les images de notre première fois. Plus qu’une croyance religieuse, c’est un engagement que j’avais pris envers moi-même : rester chaste pour celui qui deviendra mon mari.

On n’a pas eu d’enfant. Durant longtemps, j’ai cru que le problème venait de moi. De médecin en médecin, j’ai suivi des traitements jusqu’au jour où il m’a dit que nous ne nous sommes pas mariés pour avoir des enfants et que le bonheur ne consiste pas seulement à avoir des enfants. Je lui ai répondu, en bonne croyante : « Que la volonté de Dieu soit faite. » A l’époque, nous avions trois ans de mariage.

Un soir, je suis revenue du travail et j’ai retrouvé la maison transformée en un endroit romantique. Des fleurs partout, le dîner était servi. Je n’avais jamais imaginé que monsieur pourrait être aussi bon cuisinier. Éblouie, je me suis demandé si j’avais manqué une date ou un événement. Qu’est-ce que nous célébrons ? Je l’ai su trois jours après quand il m’annonça la naissance d’un fils avec son ancienne secrétaire. Il m’a demandé de le reconnaître. J’ai accepté et je me suis assurée, malgré moi, qu’il prenait soin de son fils. 6 mois plus tard, la maman de son fils est venue m’insulter à mon bureau. A un certain moment, j’ai voulu mourir. Ensuite, comme pour offrir la chance à son fils de grandir dans une famille unie, je lui ai demandé le divorce.

Au départ, ça n’a pas été facile. Nous avions eu tellement de souvenir ensemble qu’il m’était difficile de l’oublier. Avec lui, j’ai goûté au plaisir du voyage. Pour nous, le Baecation c’était à n’en plus finir. De Montréal à l’Irlande, nous avons exploré Cuba, la République Dominicaine, le Mexique, le Brésil, l’Uruguay, la Suisse, le Benin, la Cote d’Ivoire, l’Italie, la France et les Etats-Unis. Nos meilleurs moments, c’était en Haïti, chez nous. Notre premier voyage ce fut à la commune de Borgne. Là-bas, j’ai arpenté l’une des grottes les plus épatantes en Haïti. Nos meilleurs souvenirs, nous les avons achetés à Village Noailles, au cœur de Croix-des-Bouquets. Et au Marché en Fer, ou Marché Vallière ou encore Marché Hyppolite. Ce dernier est une œuvre architecturale d’une incontestable valeur artistique et historique.

Nos meilleurs baisers, c’est resté à l’observatoire de boutillier à Fort Jacques et à Furcy. Dernièrement j’ai supprimé des photos et des vidéos du Parc National La Visite de Seguin, de Saut-d’Eau et de Marchand Dessalines. La Citadelle La Ferrière demeure ma destination favorite quand je suis en mal d’inspiration. C’est à la fois inspirant, motivant et impressionnant. Pour parler de plage, je n’ai eu aucune photo. Je n’aime pas me faire en photo en tenue un peu intime. Mais, si je devrais citer parmi mes coups de cœur, c’est certain que je parlerais de l’Ilet à rat, de Chouchoubay, de cormier, de certaines plages de la cote des Arcadins, de Pointe Sable, d’Abaka bay, Ti Mouillage, Kokoye beach, la trompeuse et j’en passe. A chaque voyage, c’est une combinaison d’histoire, de gastronomie créole, d’archéologie Taïno, de nature généreuse et de farniente.

Récemment, j’ai appris que mon ex a été opéré. D’après son urologue, il souffrait de varicocel. (J’ai utilisé mon statut et des contacts pour accéder à certaines informations.) Il est impossible que son fils soit le sien. De mon côté, je viens d’avoir mon deuxième garçon. Mon premier enfant fut une fille.  En 10 ans, c’est la plus grande leçon que la vie m’a apprise. Avec le temps, de la patience, de la tempérance et de la persévérance, la nature finira toujours par donner raison à qui le mérite.

Mon actuel mari m’a appris ce qu’est l’amour. Pour une fois je peux dire que je suis épanouie. Je voyage de moins en moins mais ma vie est remplie. A chaque fois que je m’énerve avec un de mes enfants, je m’efforce de sourire et de contempler la grandeur de Dieu.

Mon mari est moins fortuné mais il m’apprend à contempler des petites choses. Nous avons une histoire presque similaire, sinon qu’il n’a pas connu son père. Il a un amour pour les livres dont même Socrate serait jaloux. Et, par-dessus tout ce que nous avons en commun, il sait m’exciter comme lui seul en a le secret. Sa manière de me toucher, de me cajoler, de me caresser, de me sucer n’a pas d’égal. Entre nous, ça m’arrive souvent de lui demander s’il a fait des études scientifiques sur comment faire jouir une femme.

Je ne regrette rien de mon ex-mari. Je lui suis reconnaissante pour tout ce qu’il a apporté de bon dans ma vie. Par-dessus tout, je le remercie de m’avoir laissé pour un enfant qui n’est pas sien. J’avais une illusion du bonheur, aujourd’hui, je suis épanouie et comblée. Avec le temps, on finira par retrouver la personne qui est faite pour nous…

Job Peterson MOMPREMIER


Je rêve de plage et de soleil

Durant les 8 heures qui séparent Paris de Port au Prince, je ne me suis pas complètement endormie. J’ai eu le temps de me plonger dans la lecture du livre « La bombe de la dette étudiante » de François Delapierre. Une lecture savoureuse pour comprendre comment la marchandisation de l’éducation risque de nous conduire à l’explosion d’une nouvelle bulle financière.

Sur mon portable, j’ai aussi écouté des morceaux de musiques racines et traditionnelles. Ram, Boukman, Tropicana et Septem m’ont très bien accompagné jusqu’à mon atterrissage. Je n’ai pas vu l’heure se passer.

A Port au Prince, le soleil sur le tarmac me saluait. Après 5 ans, rien de mieux que de revenir sur sa terre natale. J’ai eu envie d’embrasser le sol malgré ses saletés. Haïti me manquait. J’aurais bien voulu que ma maman me prenne à la porte de l’avion tellement j’avais hâte de la revoir. Rien, ni les réseaux sociaux, ni les échanges épistolaires d’autrefois, ne peut égaler la présence physique des gens qui nous sont précieux. J’ai dû attendre de franchir la porte de l’aéroport pour entendre la douce voix de ma maman bercée de pleurs et de réjouissance “ Woy, me pitanm nan”. C’était la joie totale. On a pleuré. J’ai laissé mes malles par terre pour sauter dans ses bras. Toutes mes craintes et ma réserve sur ce voyage se sont envolées. Quoique vous puissiez entendre, Haïti est un pays sûr. Adieu mauvaises nouvelles et mises en garde. Bonjour plaisir d’être parmi les miens sur la terre de mes ancêtres, Haïti chérie.

Une grande file de jeunes en attente de s’envoler pour le Chili fait le tour. Sur le visage de chaque personne, dans cette ligne, se lisent dédain et espérance. L’espérance d’une vie meilleure, ailleurs, dans l’incertain et face à l’inconnu. Comme partout et ailleurs, certains vont réussir quand d’autres multiplieront les excuses et explications fallacieuses pour justifier leurs échecs.

Ma famille m’attendait à la maison. Un concert de cri et de pleurs orchestré par ma grand-mère s’est organisé une fois le seuil de la porte franchi. Je pleure comme un bébé en croisant son regard. Mon corps tressaillit quand elle pose ses mains sur mon front pour prier. Quel si beau plaisir de la revoir à nouveau ! Elle qui a toujours été là pour chacun de ses fils et filles. Une femme de poigne. Que l’âme de feu mon grand puisse reposer en paix. Ensemble, ils ont fait l’impossible inculquer la meilleure éducation et le sens du travail à chacun de leurs enfants. Six heures du matin, l’odeur du café me réveillait. Ça sent bon et a été préparé au pilon selon des méthodes traditionnelles. C’est fort, c’est délicieux, appétissant avec du bon pain rallé. Je me suis préparé pour aller visiter des amis, proches et familles. J’y ai profité pour faire une visite surprise à mon ancien studio. Un bien fou de rencontrer certaines personnes et voire à quel point malgré le temps et la distance elles sont restées les mêmes.

Un bouillon m’attendait à la maison. L’odeur suffisait à me rassasier. C’était bon. Ça me rappelle mon enfance. Nos samedis à la maison. Avec ma cousine, nous remémorons nos souvenirs du spécial poisson de carrefour Gerald Batailles. Le soir venu, je commandais un Tasso cabri à restaurant du coin. Ça me manquait tellement. La cuisine de chez nous me manque chaque jour. Les ingrédients et peut être même le climat manque aux plats de mon pays d’adoption. Sérieux ! Parfois, je me demande si ce dernier n’a pas un rapport particulier sur la saveur d’un plat, sa dégustation ou même sa préparation.

Je rêve déjà de mon dernier weekend où j’aurai à séjourner au Cap-Haitien. On va certainement me proposer du poulet pays, une de leurs spécialités. J’ai prévu d’aller à la Citadelle et de visiter Labadie. Je connais une agence dont le prix de leur forfait n’est pas exorbitant et d’autres personnes témoignent de leurs services. Sur la route, je leur demanderai d’arrêter aux Gonaïves pour déguster un bon “Lalo à diri blan”. Quand je suis en Haïti, je me permets d’oublier mon régime. C’est le temps des spaghettis et hareng saure préparé par ma mère et servi au lit. C’est le moment de rechercher la saveur de mon enfance dans chaque couronne ; les jus qui ont bercés mes repas de récréation à la l’école. C’est le café à n’importe quelle heure; le poisson rose avec du maïs moulu. Le chocolat traditionnel, rien de mieux pour un matin d’hiver.

Mon alarme sonna, j’ai sursauté, il est déjà 7 heures et c’est probablement sa troisième sonnerie. C’est déjà l’heure de me préparer pour aller travailler. Que cette nuit a été courte! J’entrouvre la fenêtre, il neige au dehors. Je vous laisse, une dure journée m’attend.

En pensant à ce doux rêve, je vais sourire toute la journée…