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L'histoire d'un homme qui a laissé sa petite amie pour un mariage et une résidence aux Etats-Unis (Partie 2)

(Suite)

Ça faisait un peu de temps que je n’avais pas vu ma chère maman. Entre le rendez-vous fixé pour le week-end de la semaine prochaine, et mon prochain voyage, j’avais 10 jours à passer en Haïti. Pour profiter au max du voyage et passer du temps avec ma famille, le même jour, j’ai fait une réservation pour le Cap-Haïtien.  Je voulais profiter à fond de mon séjour et resserrer les liens avec ma terre natale. Les nouvelles compagnies de transport permettaient désormais de relier Cap-Haïtien à la capitale en moins de 7 heures et tout au cours de la journée. Je ne pouvais que féliciter chaque entrepreneur qui prenait des risques pour tisser l’espoir et résoudre des problèmes en Haïti.

Contrairement à Port au Prince où j’ai passé quatre nuits dans un hôtel de grand prix et avec de piètres services, j’ai choisi la demeure familiale pour mon séjour au Cap-Haïtien. A l’hôtel, en dehors des recommandations et suggestions que j’ai adressées au responsable au moment de le laisser, je n’ai pas été exigeant.  Je savais que j’étais en Haïti. Malheureusement, chez nous, il faut s’attendre au pire tout en espérant le meilleur. Nous avons peut-être placé les bœufs avant la charrue. Développer le tourisme ne pouvait se résumer à une question de belles images.

Nous ne nous sommes pas encore relevé du 12 janvier. Lorsque j’avais laissé le pays, on se débattait entre construction et reconstruction. Des promesses pleuvaient, la charité internationale avait bonne augure et une pluie de célébrité s’abattait sur nous. Au moment de mon séjour, aucun des plans proposés pour la nouvelle capitale ne s’était exécutée. Nous nous obstinions à claironner notre ouverture aux investissements et nous nous félicitions de nos avancés sur le plan touristique tout en fustigeant nos déficits d’infrastructures de base et notre manque de ressources humaines qualifiées. L’électricité demeurait un luxe. La majorité de nos institutions et grandes entreprises faisaient appel à des compétences étrangères. En dehors des belles images très bien travaillées pour faire penser que tout allait pour le mieux en Haïti, les médecins étaient constamment en grève, sans parler des étudiants qui étaient censés être le moteur du développement du pays.

Accompagné de mon père et de ma mère, j’ai effectué un pèlerinage pour saluer des proches et famille. Je ne pouvais oublier combien de fois j’avais fait semblant de ne pas entendre ma mère qui me questionna sur mon ex-femme. Je me sentais tout au cours de nos trajets un peu épuisé de ses « si ou te koute m, ou te kite Bondye ba ou moun pa w la, sa pa tap janm rive. » Mon père, fidèle à lui, sans piper mot, se disait peut être continuellement qu’il avait eu raison de ne pas avoir assisté à mon mariage. Il avait toujours été fidèle à ses convictions et ferme dans ses positions. Aujourd’hui encore, j’étais persuadé que seul l’amour maternel pouvait pousser ma mère à s’opposer à son mari. Elle m’avait accompagné devant le juge de paix qui siégeait pour mon mariage.  Le pasteur de l’église où j’avais été présenté et baptisé refusait de célébrer mes noces. Je regardai encore les photos de la petite pièce du tribunal de paix où avait eu lieu le mariage et je n’arrivais pas à comprendre combien j’ai été ridicule et dépourvu de mon bon sens. Pour ce mariage, j’avais piétiné mes valeurs et principes ; transigé mes règles et mes valeurs familiales. Si seulement je pouvais revenir en arrière…

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Aux États-Unis, la lune de miel a été de courte durée. Contrairement à ce qu’elle m’avait dit, elle n’était plus infirmière. Ou, pour dire mieux, elle avait perdu sa licence pour conduite en état d’ivresse. Là-bas, c’est  tellement différent de chez nous où nos professionnels de santé s’en fichaient pas mal des patients et de leur propre comportement.

Pour joindre les deux bouts et répondre aux dépenses du foyer, je me suis plongé dans un rythme de vie inhabituel. Lorsque je laissai la maison pour aller travailler, parfois ce fut plus de douze heures dont quatre en transport public pour l’aller et retour. J’ai multiplié les emplois à temps partiel et au salaire minimum. Souvent, à la fin de la quinzaine, après avoir payé nos factures, il ne resta plus rien à épargner.  Quand je pensai que chez moi, en Haïti,  je pouvais être au chômage ou qu’il fallait être millionnaire pour avoir la qualité de vie que nous avions ici, je considérais qu’en dépit de tout c’était un privilège. En se levant les matins pour braver le froid et la neige, on ne pouvait que souhaiter du mal aux politiciens qui ont exploité et dilapidé les richesses d’Haïti, chacun à sa manière. Je ne pouvais espérer qu’un jour le peuple s’éveillera pour s’impliquer, se responsabiliser, s’engager dans l’intérêt du bien-être de tous les haïtiens. Et que la diaspora puisse disrupter le système d’assistanat pour renouer avec ses racines, s’investir et s’impliquer directement de par ses expériences, ses compétences et ses ressources au progrès et au développement d’Haïti.

Avant de revenir à Port au Prince, enthousiasmé de revoir Lolotte, j’ai profité de ma présence dans le Nord pour visiter le PNH (Parc National Historique). Grâce à un contact, j’ai été à Labadie. Je suis allé me relaxer et déguster des fruits de mer frais sur l’îlet-à-rat. J’ai été aussi à Vertières, sur l’habitation Breda et à Bois Caïman. Ce qui m’a un peu choqué, ce fut l’état de délabrement du Musée d’Art Arawak de Guahaba au Limbé. Les poissons de Camp Louise, les noix de coco de Chouchou Bay, la canne à sucre, la pêche sur la plage Caramel et sa petite île à Bas Limbé  ainsi que ma plongée au bassin Waka ne pouvaient que me donner courage et rallumer ma confiance en un lendemain meilleur. Je gardai pour toujours ces souvenirs et nombreuses photos sur mon compte Instagram retraçant ces instants de bonheur entre amis et famille. Parmi les riverains, j’ai même eu le temps de faire de nouveaux amis. Les gens du Nord sont si hospitaliers.

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Je regardai mon portable, il est cinq heures trente minutes, fini de me préparer, je pris la direction de notre lieu de rendez-vous.  J’arrivai au restaurant avec une avance de dix minutes par rapport à l’heure établie, un monsieur m’accueillit. Pour une fois, l’agent de sécurité ne m’a pas questionné comme quelqu’un ayant perdu son chemin. Un serveur me dit que ce Monsieur de couleur noire et à l’allure impressionnante était le maître des lieux.

Une fois à l’intérieur, j’ai regardé partout sans apercevoir la silhouette de Lolotte. On dirait qu’elle m’a posé un lapin pensai-je. Puis, j’ai entendu cette voix dans mon dos qui m’appela, cette voix que je reconnaîtrais parmi tant d’autres, celle de Lolotte. Elle était assise sur une table un peu à l’abri des regards. Pendant un temps, j’ai voulu croire qu’elle s’était camouflée pour me faire la surprise. Mais non, elle me dit qu’elle était à l’intérieur bien avant que son mari vienne la prévenir de ma présence. Le Monsieur qui m’a accueilli c’est son mari…Je suis tombé des nués. Malgré la température plus ou moins froide, mon corps s’est baigné de sueur.

Je ne m’attendais pas à cette situation. Avec monsieur, qu’elle avait rencontré dans le cadre de sa maîtrise en économie du développement à l’UEH, elle avait eu un garçon. Après que je l’avais abandonnée, la vie ne s’était pas arrêtée pour elle. Elle a dû prendre son courage à deux mains et affronter l’avenir avec plus de confiance, de motivation et de détermination. Aussi inattendue et douloureuse que puisse être une rupture, elle est souvent l’occasion de revoir ses priorités et d’avancer dans la vie avec plus de détermination. Et qu’une personne ne devrait pas faire d’une autre le centre de sa vie me dit-elle. J’étais un peu attristé à entendre ses mots, mais au plus profond de moi, je savais qu’elle disait vrai. J’étais malgré tout fier de cette personne qu’elle était devenue loin des objectifs que nous nous étions fixés. Après tout, une femme instruite résiste à tout, même à l’abandon.

Femme autonome, épanouie et émancipée, elle concilia aujourd’hui vie familiale et professionnelle. L’entreprise où je l’avais rencontré la première fois est une agence en conseils et stratégies qu’elle avait lancée il y a plus de deux ans. Aujourd’hui, elle se dit compter parmi ses clients de nombreuses entreprises haïtiennes et surtout des organisations internationales et entreprises voulant s’implanter en Haïti. Avec ses économies, elle s’était associée avec son mari et deux amies pour ouvrir ce restaurant au cœur de Pétion-Ville. C’est la concrétisation d’un rêve qu’elle caressait depuis qu’elle avait été expulsée dans un restaurant à cause de la couleur de sa peau. Pour faire face à l’augmentation de la demande et suite à une étude de marché,  elle rêvait d’agrandir le restaurant. Mais, face aux procédures abusives, aux taux bancaires très élevés, au clientélisme et au risque de se faire voler le projet, elle demeurait perplexe et se concentrait sur la pérennisation de cette place où l’accueil, l’amabilité, le professionnalisme et la qualité étaient au rendez-vous.

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La conversation fut intense. Après avoir vidé nos casseroles, se faire un raccourci de tout ce qui s’est passé durant notre séparation, le sourire était au rendez-vous. Plus le temps passait, plus nous nous sentions en harmonie. A chaque occasion, entre deux histoires, je me faisais une brèche pour la rappeler combien elle restera à jamais dans mon cœur et que je regrettais de l’avoir fait souffrir.  Elle m’a longtemps pardonné tout en se retrouvant dans l’impossibilité de m’oublier me confia-t-elle. Certains faits arrivaient à surmonter le temps à travers les cicatrices et les traces qui sont restées.  Elle me dit toujours espérer qu’un jour je reviendrais et que cet instant à deux serait pour elle une joie immense. Elle ne m’a pas détesté ce qui me rappela son grand cœur. Je suis en dépit de certaines ratures, la meilleure histoire de son existence.

Son mari commença à se faire remarquer et à la solliciter de plus en plus, j’ai compris qu’il était temps de prendre congé et que par amour et respect pour elle, je ne devrais pas prendre plaisir à faire souffrir son mari. Je m’imaginai jaloux et attachant, en train d’observer ma femme sourit avec un ex qui, en bien comme en mal, revenait toujours dans nos conversations. On s’échangea les contacts et nous nous sommes promis de nous ajouter sur Facebook. Je fis mes adieux après qu’elle m’ait parlé de son fils Jean comme une traduction de mon prénom John. Elle décida de m’accompagner à la sortie. Une fois à la porte, on s’est serré dans les bras avant de nous séparer avec un sentiment de regret et de culpabilité partagé. Je pouvais sentir des larmes me piquer les yeux. Puis, je fis signe au chauffeur de taxi moto qui m’attendait pour regagner l’hôtel où je m’étais logé. Toute la nuit, le cœur endolori, je pensais à elle. Je me projetais avec elle à travers des scénarios pour essayer de m’écarter de mes regrets. Pour une fois, depuis des lustres, j’ai ressenti des palpitations qu’aucun mot ne pouvait décrire. Je me sentais connecté avec elle, le courant passait, je pouvais ressentir nos cœurs qui battaient à l’unisson. L’amour était là, et une chose était certaine à cet instant, j’allais tout faire pour la reconquérir.  Et ce fut ce nouveau John, un John confiant et déterminé à redonner du sens à sa vie qui le lendemain prendra l’avion pour braver le froid de Boston.

 

Job Peterson Mompremier

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belleayiti

Commentaires

Nicoldine
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Felicitations a toi Job! Je suis une passionnée de la lecture et tes ecrits me font souvent voyager dans un autre monde!!!! J'attendais la suite de Lolotte et Jon et Mon intuition me dit que c'est pas encore la fin. Donc j'attend impatiemment la suite!!!

Ancia
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Fèlicitations Job

Marie
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C'est une magnifique histoire, je t'en Remercie. L'amour du terroir transperce tes ecrits et n'importe qui peut en apprendre beaucoup à partir de tes ecrits. J'aime Le style et l'espoir qui degage de l'histoire.
Bon travail.