Crédit:

James a eu son baccalauréat

La proclamation des résultats du Baccalauréat est officiellement confirmée. L’affichage dans les écoles met fin à plusieurs semaines de rumeur, comme c’est devenu une tradition depuis un certain nombre d’années. Certaines écoles n’affichent pas les résultats pour contraindre des parents à honorer leurs redevances sur l’année scolaire qui s’est terminée. Heureusement, cette année, la récolte de noix de cajou a  permis aux parents de James comme de nombreux autres congénères de « Bakini » à payer l’écolage de leurs enfants sans tracasserie. Depuis que la communauté s’est regroupée pour développer des cultures de niches et exporter leurs productions, la vie a une nouvelle couleur, celle de l’espoir. Presque chaque matin, les femmes, en majorité des mères de famille, se réunissent pour définir leurs journées avant de mettre en marche le seul atelier de transformation de noix de cajou de la région. Enfermé dans un emballage moderne qui ne laisse apparaître les marques du « sciller », ces produits portent la marque d’origine « Noix de Bakini », dûment enregistrée au ministère du commerce et de l’industrie. C’est un produit unique, dérivé de nouvelles pratiques expérimentés dans des pays tropicaux d’Afrique.

Il était aux environs de midi lorsque James est revenu du bourg de la Plaine du Nord. Son visage rayonnait de joie, et sans qu’il eu le temps de dire quoi que ce soit à sa mère, cette dernière s’est mise à pleurer. Elle ne peut retenir son contentement. James pénétra la salle d’exposition de l’atelier ou un espace est aménagé pour recevoir des visiteurs – en face de l’entrepôt- caresse les cheveux de sa maman et dit :

« Mwen bon manmi, poukisa ou ap kriye konsa. Ou pa bezwen kriye man ».

Ce ne sont pas les défis qui poussent madame Josie à pleurer, elle ne pense pas encore à la destination future de son fils entre Limbé, Limonade, Cap-Haitien, Port au Prince ou la République Dominicaine. Elle pense au chemin parcouru, sans assistance sociale, pour que James puisse en arriver là. Josie avait 19 ans lorsqu’elle enfanta James, à l’époque elle était en troisième secondaire au Lycée Nationale Philippe Guerrier. Je te parle de l’époque où les femmes devraient étudier la cuisine, la coupe et la couture et qu’être mère-écolière était une injure. Elle a essayé, mais, Dieu seul sait pourquoi, fœtus James ne s’était pas avorté. On dirait qu’il est robuste dès sa genèse et qu’il est né pour résister et se battre.

Lorsque le responsable de la pension eu apprit la nouvelle, elle avisa le missionnaire bienfaiteur qui se chargea de Josie depuis qu’elle avait 4 ans. Sans support, avec un enfant en gestation dont le père refuse d’assumer sa responsabilité, sa seule option fut d’abandonner. Ses parents, ne pouvant répondre aux besoins des 9 autres enfants dont plus de la moitié sont en domesticité en ville, reçoivent la nouvelle comme un coup de massue au front. Durant toute la période de sa grossesse elle accompagnait sa maman au marché. Ce fut l’apprentissage de toute une nouvelle vie. Une vie dure que nos frères et sœurs de la campagne essaient de fuir par tous les moyens. James essuie les larmes aux yeux de sa maman, la regarde dans les yeux avant de la prendre dans ses bras.

« Manmi, yon jou map mete’w chita sou chèz boure ».

Il est conscient de tout le chemin parcouru, mais, il estime que rien ne peut être plus difficile que les étapes déjà brûlées. Il pense à ces jours où sans l’espoir d’un repas il devrait se rendre à l’école sur ses deux « Tigri ». Il repense à ces soirs ou avec le ventre vide, sa maman l’encourageait à étudier et à faire ses devoirs. Il repasse ses notes en revue et renforce sa conviction que :

« Pitit malere pa dwe sòt ».

James regarde sa maman à nouveau ; il la dévisage et pleure. De nombreuses fois, bien avant que la vie fleurisse dans la communauté, sa maman faisait une « mesurette » de soupe de riz qui ne lui était même pas suffisante, et dont elle ignorait le goût. Son défi : « éduquer un HOMME responsable ». Heureusement, jusqu’ici, elle n’est jamais déçue de son fils.

Bientôt, pour la première fois, ils vont devoir se séparer. Une nouvelle vie avec de nouvelles responsabilités va commencer pour James. Sa maman va devoir apprendre à vivre sans lui, ne plus le voir comme un bébé garçon ; pendant qu’il aura l’obligation de s’assurer une bonne mise en pratique de l’éducation reçue. Entre Port-au-Prince et la République Dominicaine, le cœur de Josie restera sûrement sur Cap-Haïtien afin qu’elle puisse aller lui rendre visite régulièrement sans être obligée d’abandonner ses activités entrepreneuriales et associatives. Beaucoup ont souhaité qu’il soit médecin, lui veut être professeur. James croit qu’apprendre les sciences de l’éducation et se consacrer à l’enseignement est le plus grand engagement qu’il puisse prendre s’il veut contribuer à l’avènement d’une nouvelle génération d’Haïtiens responsables et impliqués dans le développement de leur communauté. Sa maman n’a aucune objection surtout qu’il est jeune et qu’il aura le temps de se perfectionner et apprendre dans d’autre domaine s’il le désire. En réalité, les choses ne sont pas toujours comme les élèves  et certains parents les imaginent. Intégrer les universités publiques n’a jamais été une mince affaire. Avant de confronter les professeurs qui sont toujours présents pour réclamer leurs chèques et souvent contrariés pour dispenser les cours, il faut d’abord faire face à l’épreuve du concours.

La capacité d’accueil de l’université pourrait être de 200 nouveaux étudiants et que les registres dénombrent plus de 10 milles Inscrits qui y concourent. J’ignore volontiers la question que certains se font parrainés comme pour dire que les meilleurs ne sont jamais écartés. Mais, je ne peux me fermer les yeux sur les options qui s’ouvrent si l’on ne veut faire la queue en attente d’un nouveau concours après chaque échec aux examens d’admission. Le lauréat de certaines écoles, certaines fois, le seul admis sur 50 élèves qui ont été aux examens. Si l’on dénombre 100 institutions d’enseignements supérieurs, plus de la moitié n’ont une License de fonctionnement et près de 70% offrent une formation au rabais. Nous formons des professionnels pour ne jamais travailler. Et, souvent, ces jeunes sont venus de la campagne et de nos provinces avec le seul espoir d’accéder à un meilleur niveau de vie après leurs études. Quelle arnaque!

Chaque année, de nouveaux diplômés terminent leurs cursus scolaire en réussissant leurs examens officiels de Baccalauréat deuxième partie (Philo). Intégrer les universités privées reste un luxe pour la majorité de ses jeunes, en dépit du manque de standard de ces institutions de formation supérieure et du niveau de la formation offerte. Aux nouveaux finissants s’ajoutent des postulants des concours précédents avec l’unique espoir d’intégrer une faculté de l’UEH pour pouvoir s’offrir une formation supérieure. Ils sont venus des communes de tous les départements du pays. Cette année, sur plus de 79,283  inscrits, moins de 30,000 ont eu leurs baccalauréats à la session ordinaire. Déjà, c’est le pèlerinage de ce que qu’on appel « PréFac », des cours dispensés par des étudiants anciens et actuels, se fixant pour mission la facilitation des bacheliers à intégrer les 11 entités de l’UEH ( Faculté d’Ethnologie (FE), Faculté des Sciences Humaines (FASCH), Faculté de Médecine et de Pharmacie (FMP), Ecole Normal Supérieure (ENS), INAGHEI, Faculté de Droit et des Sciences Économiques (FDSE), Faculté des Sciences (FDS), Faculté de Linguistique Appliquée (FLA), IERAH/ISERSS, Faculté d’Agronomie et de Médecine Vétérinaire (FAMV) et Faculté d’Odontologie (FO)) et certaines universités privées. Parmi elles, nombreuses sont au prix abordable et au cursus questionnable. La stratégie promotionnelle « Demi-bourse » est une attrape nigaude.

De plus en plus de jeunes s’impliquent et s’engagent à travers des projets innovants. Désormais, on parle tourisme, petites et moyennes entreprises, agro-industrie, artisanat. Cependant, les défis demeurent et les besoins pressants de la population interpellent à innover et à développer de nouvelles compétences. Cette année, a l’intention des finissants du département du Nord, un club de jeunes entrepreneurs a pris l’initiative de mettre les projecteurs sur un ensemble de métiers jusqu’alors méconnus. James a eu le privilège d’y prendre part au nom de son école dans le souci de répliquer la formation à ses condisciples. Depuis, il ne rêve plus médecine et diplomatie, il ne parle pas de génie Civil et Sciences Juridiques, il est conscient de ses aptitudes pour l’éducation, l’enseignement. L’objectif de cette série d’activités de sensibilisation était de mettre les projecteurs sur des opportunités, d’indexer des besoins pressants, de présenter des acteurs du changement positif à travers nos communautés ; des professionnels qui s’engagent avec passion et persévérance à exercer des métiers peu connus ou ignorés de nos jeunes écoliers. Les jeunes étudiants initiateurs espèrent qu’à la sortie de l’école classique, le choix des écoliers ne se portera pas vers uniquement les filières de formation traditionnelle qui vont conduire ces jeunes diplômés à une nouvelle forme de chômage. La finalité de toute formation professionnelle doit être de s’armer pour affronter et bâtir dignement un bon lendemain. Durant les 3 jours de cette série de formation, ils ont pu vulgariser et construire une image positive de certains métiers avec la contribution des professionnels; grâce à des échanges riches et constructifs mettant en lumière des opportunités et des défis dans la pratique de certains métiers. Mais, pour l’instant, James n’a qu’une seule option: « réussir le concours de la faculté des sciences de l’éducation ». Grâce à son intelligence, il a eu le flair de participer a un Préfac où les jeunes allient l’expérience aux notions théoriques. De « tchala en tchala », il s’est donné la peine de préparer le concours. Il est conscient de la responsabilité qui pèse sur son dos ; et se fixe le défi de remettre sa thèse de License à temps pour pouvoir bénéficier d’une bourse de maîtrise dans le cadre de ce programme fraichement institué entre des universités du Cap et de Montréal. Le savoir et la volonté peut ouvrir toutes les portes.

L’université est connu entant que productrice de savoirs, de sciences et technique et pour l’importance de son rôle dans le développement et le bon fonctionnement d’un pays. Aujourd’hui, c’est par corrélation entre Université et développement que de nombreux pays arrivent à emprunter la voie du développement durable. Comme James, nous espérons une nouvelle génération de jeunes prête à s’engager pour un système éducatif adapté à nos besoins et notre réalité dans la dynamique actuelle de globalisation. C’est ainsi que la main d’œuvre haïtienne sera qualifiée pour les chantiers et les grands projets Haïtiens, que nos entreprises seront performantes et que nos ambitieux entrepreneurs vont pouvoir mobiliser des équipes compétentes pour innover et changer les choses, ici, en Haïti. Je souhaite que les générations de jeunes qui seront formées par James soient éduquées sur les problèmes de notre société et les ressources qu’Haïti dispose. Nous pensons que cela développera leurs intérêts en vue d’arriver à une nouvelle économie Haïtienne basée sur la bonne gestion des ressources, la compassion, la collaboration, la créativité. Un système efficient, efficace, adapté à nos ressources disponible pour la résolution de nos problèmes et la réponse à nos besoins.

Une fiction de Job Peterson Mompremier

06-08-16

Étiquettes
Partagez

Auteur·e

belleayiti

Commentaires

Ashly Maximilien
Répondre

Triste réalité de notre pays...