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Le millionnaire de cité-Soleil

Rencontrer ce  self-made man de Cité-Soleil n’a pas été facile. Mais, ce qui fut encore plus difficile, c’était de trouver assez de temps, sans interruption, pour recueillir des réponses à nos questions. Après plusieurs rencontres et conversations sans pouvoir réaliser d’interview, nous avons décidé, mon chef de rubrique et moi, de lui adresser nos questions par mail et que cette interview se fasse sous la forme d’un témoignage. C’est désormais chose faite. Dans les lignes qui suivent, monsieur Josaphat revient sur son parcours : son enfance, sa scolarité, l’histoire de sa maman et surtout il nous parle de sa fortune et de sa rencontre avec Maria, une dominicaine qui est aujourd’hui sa femme. Pour bonus, et tout en s’assurant de ne pas livrer certains secrets, il nous livre sa formule pour et explique comment il arrive à vivre dans sa commune natale, cité Soleil, bien qu’il soit millionnaire avec une telle fortune.

 

Mes chers amis,

Si ce texte était le fruit d’une interview, j’aurais suggéré au journaliste de l’intituler « Pourquoi je n’ai pas laissé cité-Soleil avec mes millions en poche ». Ce n’est pas le meilleur des titres pour nos journaux à la recherchent du buzz en vue d’attirer des annonceurs, mais, cela mettrait en avant mon attachement à ce bout de terre qui m’a vu naître.

D’abord, j’aimerais remercier Dieu de m’avoir donné assez d’intelligence pour faire de ma vie ce qu’elle est devenue aujourd’hui. Je ne suis pas le plus lettré des enfants de mon époque, encore moins un grand travailleur ou le plus grand de tous… Durant 40 années passées  ici, à Cité Soleil, j’ai vu des gens qui se lever tôt chaque matin pour préparer le repas de la journée et s’y rendre avant 6 heures échanger le temps de leurs vies contre un salaire minimum dans la sous-traitante.

Je n’ai pas connu mon père, il était peut être un grand nom de l’aristocratie Capois, il possédait des terres dans les communes avoisinantes. Ma mère me disait parfois, pour essayer de me décrire combien la vie nous est injuste, certaines choses a propos de lui. Ma mère était servante dans sa maison et c’est là qu’elle est tombée enceinte. Venue de la campagne, du côté de Boimanba, elle ne pouvait rien faire d’autre en ville que travailler chez Madame. A l’époque, les marchandes ne courraient pas encore les rues du Cap-Haïtien, ce n’était pas comme aujourd’hui où la ville s’est transformée en un grand marché. Le grand commerce fonctionnait, les touristes arpentaient les rues, tout le monde y gagne. Être Capois se mesurait à son niveau d’instruction. C’est pour fuir mon père qui, pour protéger sa famille, lui a menacé de la tuer si elle ne décidait pas d’avorter que la gouvernante de la maison, touchée par son sort,  a organisée sa fuite clandestinement. Elle était si bonne ma douce maman.

Je suis né à Cité Soleil. A l’époque les gens de la cité ne faisaient pas le baptistère de leurs enfants à Delmas. C’est également dans la cité que j’ai été à l’école pour la première fois. C’est dans cette école (dans une église) que j’ai appris à écrire mon nom, à lire et à me présenter. Mais les choses ne se sont pas déroulées comme maman le souhaitait. Lorsque survinrent les protestations pour la chute de la dynastie Duvalier, des usines ont fermées. D’autres, de trois temporelles, sont passées à 8 heures de fonctionnement. Ma mère a perdu son boulot. Pour survivre, elle offrait des services de lessives et de repassage, mais elle n’arrivait à trouver des clients chaque jour. Le pain quotidien devenait de plus en  plus rare. Parfois, j’avais droit seulement à une panade pour me retenir trois jours jusqu’à la prochaine. Elle refusait de manger pour s’assurer que je trouve de quoi me nourrir, nous nourrir. Son rêve : me voir devenir comme mon père, un grand notable dans la société.

L’histoire ne s’est pas terminée en compte de fée, j’ai du voler pour gagner ma vie. Au retour de ma première incarcération (qui a duré 6 mois), on m’a annoncé que maman était morte en apprenant la nouvelle de mon arrestation. Raillé par mes voisins et voisines, je me suis établi dans les rues à plein temps, non par l’appât du gain facile, mais par obligation de survivre. Aujourd’hui, après Dieu, c’est à la rue et surtout à mes condisciples de cette école très dure que je dois mes remerciements. Là-bas, tu apprends à te battre, y compris contre toi -même. Ce sont les plus durs qui arrivent à remiser avec de quoi en poche, et, là encore, le risque reste fort que tu te le fasse voler à ton tour  par un autre brigand. Ils n’hésiteront pas à te noyer dans ton sang si tu aimes ton gain plus que ta vie.

Sortir de la rue n’est pas chose facile, on pourrait bien se conformer aux principes d’un orphelinat, mais, le jour où l’on se rend compte qu’on est dans une prison dorée, rien ne nous tente plus que de miser sur sa vie pour dessiner l’avenir. La liberté n’a pas de prix.  Et il n’y a rien de mieux que de pouvoir gagner sa vie avec la sueur de son front. Aujourd’hui, c’est même devenu un sujet de débat, une thématique de campagne : « les enfants des  rues ». J’ai passé plusieurs années dans la rue. Petits boulots, cirage de chaussure, nettoyage de vitre et de pare brise… jusqu’au jour où j’ai été invité à participer au braquage d’un magasin à « la Saline ». La boue avoisinant le magasin a joué contre nous, nous nous sommes fait attraper. Mes confrères voleurs ont tiré sur la police, je me suis couché face contre terre, dans la boue. Ce jour-là mes confrères y ont malheureusement laissé leur peau. J’ai été battu et maltraité par les forces de l’ordre. Les prisonniers m’ont torturé parce que je ne leurs avais  rien apporté à la prison. Lors de ma comparution, on m’a assigné un avocat d’office. Le cher maître m’a conseillé de plaider coupable pour une réduction de peine. J’ai dû passer 10 ans entre les murs du pénitencier. Et c’est là que j’ai rencontré Joe.

Déporté des Etats-Unis pour crime et trafic de drogue, Joe avait  beaucoup de connexion en Haïti, il avait trafiqué avec de grands noms de la place. Nous sommes restés amis jusqu’au jour où la vie a exigé que je choisisse entre lui et moi. Avec lui, j’ai passé quelques temps dans les quartiers chics de Pétionville. Un ami dealer à qui il rendait beaucoup de services lui a offert une grande maison à sa sortie de prison (même dans l’enfer certains gardent leurs grands cœurs). Beaucoup de personnes savent encore ce qu’est la reconnaissance. J’ai côtoyé du beau monde. On faisait la fête toutes les semaines. Pas besoin de connaitre ton niveau d’éducation ni la provenance de tes moyens, on parlait drogue, femmes, meurtres, assassinats et plaisirs de toute sorte. Civils et officiels se côtoyaient. Ensemble, on faisait de jolis coups. De grandes cargaisons de drogues ont transités en complicité avec des hommes d’affaires réputés, sans laisser la moindre trace. Parfois, Joe passait des jours à passer nos liasses au soleil. Notre artillerie était toujours à point en cas d’une éventuelle attaque.

Puis, un jour, nous étions à Laboule pour une orgie, lorsque nous fûmes au parfum d’un grand coup. A l’instant même, nous nous sommes séparés des jeunes filles, de la viande fraîche diraient les hommes et femmes « deux 16 pour 32 ans ». Nous avons interceptés les marchandises et récupérés le pognon sans laisser de traces afin d’éviter d’éventuelles représailles. On aurait dit qu’avec l’aide de Saint Michel l’Archange nous avions réussi à décimer toute une bande. Je nous voyais déjà régner sur Port au Prince avant de sentir quelque chose d’un peu chaud sur ma nuque. Joe m’avait braqué. J’ai ri un instant avant de comprendre qu’il était sérieux. J’ai fait ma prière. Mon ange gardien m’est venu en aide à travers un des dealers qui n’avait pas encore trépassé. Joe avait tourné le dos pour régler son compte à ce gars qui l’avait distrait, je lui ai mis une balle dans la tête. Lui distrait, j’ai tiré et j’ai survécu ! J’ai pris l’argent et j’ai laissé le reste. On en parle aujourd’hui encore, selon la police, à en croire leurs dires en conférence de presse, c’est l’un des plus grands coups. Beau bilan. Je ne suis pas retourné dans la maison de Joe. Je n’ai jamais su ce qu’étaient devenues nos liasses. On rapporte que des policiers sont venus, mais jamais la presse n’en a parlé.

Lors d’une de nos sorties, j’avais rencontré Maria dans un stripp club à Petionville. La première fois que je m’étais rendu là-bas, on m’avait refusé l’accès. Les peaux sombres sont rares dans cet endroit chic. Grâce aux bonnes connexions de Joe, nous étions devenus des fils de la maison. Je ne sais pourquoi, mais Maria m’intéressait énormément. J’ai voulu percer les mystères de sa vie, la rencontrer en dehors du boulot, comprendre ses tracasseries. Une fois, je lui ai proposé une prestation privée. Au départ elle a refusé, sous prétexte que la majeure partie du temps, les filles comme elle étaient victimes d’abus. Nombreux sont les clients qui se comportaient mal a leur égard ou qui ne payaient pas leur dû. J’ai su gagner sa confiance. Un jour,  elle m’a avoué qu’elle travaillait avec rage pour pouvoir racheter sa liberté et pour continuer à envoyer de l’argent à sa maman afin qu’elle prenne soin de ses filles. Elle ne souhaitait  pas que ses filles connaissent son sort. Je l’ai supplié d’être discrète. J’ai racheté sa liberté et j’ai fait le nécessaire pour qu’elle puisse envoyer de l’argent à sa maman afin que celle-ci  la rejoigne en Haïti. Elles ont tenu une boutique de lingerie à Pétionville qui servait les enfants de bonne famille à la recherche d’exotisme.

Lorsque j’ai laissé la scène où s’étalaient les cadavres des dealers et celui de Joe (paix à son âme), elle fut la première et la seule à qui je me suis confié. Elle m’a planquée plusieurs mois dans une cachette jusqu’à ce que le dossier soit délaissé. Mon nom semblait n’apparaître dans aucun dossiers de la police lié à cette histoire. Lorsque le calme fut revenu, je l’ai épousé. Ensemble, nous avons acheté une maison en béton à Cité Soleil. Je suis retourné dans mon crew. J’ai constitué une équipe. Aujourd’hui, je n’ai peur d’aucune tempête. J’ai financé l’élection de certains parlementaires. J’entretiens de bons rapports avec des amis du ministre de la justice. Mes hommes sont pour la plupart des informateurs de la police. Des candidats à la présidence sont déjà venus s’asseoir avec moi. Le maire est un de mes protégés. J’investis dans ma cité, Cité Soleil. Et, contrairement aux autres millionnaires, ces gens là qui ont des magasins et des usines dans les zones bouées et nauséabondes de la cité, je contribue à l’éducation. Chaque année, je finance l’écolage de centaines d’enfants. Je donne des prêts à des responsables d’école pour l’amélioration de leurs infrastructures scolaires, en guise de remboursement je m’assure que d’autres enfants ne connaissent  pas mon sort. Pour les hommes, j’ai une maison d’affaires, « Yon sèl pawòl » est son nom. C’est comme une chaîne d’entreprise, vous pouvez croiser ce nom dans plusieurs points de la cité. Et, pour les femmes, les jeunes mamans en particulier, j’offre des prêts pour de petits commerces. Malheureusement l’insécurité a emporté certaines de mes clientes au marché « anba lavil » avec mon pognon et l’avenir de nombreux enfants qui n’auront peut-être pas la chance que j’ai eue. En perspective, j’aimerais me lancer dans la borlette, j’attends le signal approbateur de mes protecteurs. Pour pérenniser ma fortune, Mon amour Maria a suivi des cours de gestion d’entreprise adaptée. Je compte sur mon fils, Robert, qui doit acquérir une formation solide et faire rayonner notre étoile de citoyen responsable, utile à sa communauté. Mon souhait est qu’il soit un grand visionnaire et un homme éclairé, attaché à sa communauté et au bien-être de ses frères et sœurs haïtiens.

C’est pour moi une fierté de vivre à cité soleil et de contribuer au bonheur des miens. Certains ont souhaité que je laisse cité-soleil. J’ai tenté… et ce n’était pas facile de convaincre ma femme de s’établir dans cette zone qui m’a appris la vie. La générosité qui m’anime est cette bonté que ma maman m’a toujours inspirée. Je pense encore à elle, je l’aime toujours. Elle était ma seule famille. Elle est tout ce que j’ai eu durant mon enfance. J’ai traversé le fleuve et j’ai survécu à la tempête. Mais, je suis convaincu que ce n’est pas parce que je sais nager que l’eau n’est pas profonde. Au contraire, celui qui sait nager doit avoir conscience de la profondeur de l’eau, peu importe ses compétences dans la nage. Aujourd’hui, retourner l’ascenseur est la seule chose qui m’anime. C’est l’unique raison de mon humanisme et mon secret pour demeurer à cité soleil. Jamais je ne me lasserai de jeter des ponts, de déblayer des chemins, d’enlever des barricades et de redonner de l’espoir à mes frères de cité-soleil.

Certains auraient aimé que mon histoire soit différente, moi aussi j’aurais voulu la même chose que ces puritains et moralistes. Ce n’est pas parce qu’aucun professeur ou grand travailleur des parcs industriels et des grands chantiers ne sont à l’abri du besoin le plus élémentaire que mon témoignage doit être considéré comme une apologie de la drogue et un mépris des pouvoirs publics et des élites. Ni, au contraire, parce que nos intellectuels qui avoisinent les millions sont condamnés à la concussion, la corruption et au trafic d’influence que je perdrai mon admiration et mon respect pour les hommes de savoir. A chacun son destin, son parcours et son histoire, rempli de ratures. Aucun parcours sur terre n’est sans fautes. Progresser dans la vie c’est se perdre et se ressaisir.

Une fiction de Job Peterson Mompremier

31-07-2016

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Auteur·e

belleayiti

Commentaires

Traore Amos
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Bravo très beau article

Marie L.
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J'aime cette histoire; elle nous rappelle, comme bien d'autres, qu'en définitive, notre passé ne détermine qu'en partie notre futur, nos idées... Que de nouvelles et meilleures perspectives sont toujours posibles!

ARomie
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Tres beau article Job toutes mes felicitations.

Sunshina
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Très beau texte,j'aime beaucoup.je suis d'accord avec cette phrase"aucun parcours sur terre est sans faute"

Ashly Maximilien
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Époustouflant!