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Moi, fils de policier assassiné

Mon père était un policier. Son salaire n’était pas celui d’un ministre ou même d’un simple consultant de l’administration publique ou d’une entreprise privée. Il m’a toujours appris par la pratique qu’on n’est pas obligé d’être riche pour faire du tourisme. La planification et la gestion efficace de son revenu nous a toujours assuré de vivre décemment, de profiter un peu de la vie.

Plus on est épanoui, plus on est performant. J’avais 12 ans lorsque je me suis rendu avec papa  à la Citadelle pour la première fois. Cette aventure et tant d’autres instants de qualité m’ont guidé lors de mon cheminement dans la vie. Plus qu’un père, c’est un frère, un complice, un ami. Et ce depuis que maman est morte en mettant au monde mon petit frère, mort-né dû à l’épuisement du stock de sang a la Croix Rouge du Cap-Haïtien. A partir de ce jour, mon papa est devenu tout pour moi.
Ce weekend là était spécial, il ne faisait pas encore jour lorsque nous avions quitté la maison en direction du Sud avec la perspective de nous rendre dans le Sud-est à notre retour. Le voyage reste des plus mémorables. Comme programmé, nous avons parcouru la côte Sud. Entre grotte, plage et nature, nous nous sommes arrêtés aux 500 marches de Coteaux pour adresser nos vœux à la vierge miraculeuse. Avant de revenir à Port au prince où nous habitions depuis que mon père y ait été transféré en 2006. Nous nous sommes rendus à Jacmel pour une visite éclair à Bassin bleu. Malgré les fatigues, je ne regrette rien et s’il fallait refaire l’expérience, ce serait sans hésitation. Plus que les divers fruits de mer, le homard, la langouste, la noix de coco, ce que je n’arrive pas à me sortir de la tête, ce sont les manières de faire de la communauté locale, leur expérience, leur accompagnement dans la visite des sites, etc. Ma satisfaction était à son comble.

Il était déjà 21 heures 30 lorsque j’ai ouvert le parking pour que papa puisse garer sa voiture.  Pendant qu’il jetait un œil à son uniforme pour aller travailler le lendemain très tôt, je lui annonçais mon intention d’aller prendre une douche et dormir. Mon esprit exigeait de mon corps qu’il se repose. Ainsi a pris fin cette balade que bien peu de gens  se sont donnés la joie et le plaisir de faire en Haïti.

Le lendemain, à cause de la fatigue, j’ai dit à papa que ça n’était pas la peine de m’attendre pour m’emmener en cours. Après tout, ce n’est pas toujours joyeux d’être sur la cour de l’université à attendre le prof pendant plusieurs heures. Il n’y a même pas une bibliothèque digne de ce nom pour  profiter du temps. Il devait, comme chaque lundi (jour de congé de la servante), me prendre à l’université pour qu’on aille dîner ensemble. Lorsque je ne l’ai pas vu, j’ai appelé sur son portable, puis sur son numéro privé : ils m’ont transféré à la messagerie vocale. Je croyais à un énième caprice de nos compagnies téléphoniques. J’ai laissé l’université, j’ai pris un taxi, genre moto, moyen de transport rapide et abordable bien que dangereux, pour me rendre à son poste de travail. Dès qu’ils m’ont aperçu, leurs visages se sont crispés, les collègues de travail de mon père sont devenus tristes et se sont précipités vers moi comme si quelque chose n’allait pas. Le responsable m’a alors informé que mon père avait été attaqué par des bandits armés sur le chemin de son travail et qu’il avait succombé a ses blessures quelques heures après,  en attente d’une ambulance pour le conduire à l’hôpital général ou un médecin l’aurait opéré.

Le ciel m’est tombé dessus ! J’ai repensé a mes prières à la vierge ; aux veillées de nuit de tante Marie a l’église chrétienne de son quartier et aux éternels esprits « Sa’m pa wè » de ma grand-mère. Peut-être qu’ils sont en guerre contre moi! Je devais payer le reste des frais de l’université pour pouvoir avoir accès aux examens. Je ne vais plus pouvoir payer une servante, je ne sais rien faire et jamais je n’ai vécu sans mon papa avant. Que vais-je faire ? Mon papa était le « poto mitan » de la famille. Me voilà, face a l’évidence d’abandonner mes études aux portes de ma licence. Je n’ai pas de famille à Port au prince. L’unique famille que j’avais à l’étranger a été éliminée pour avoir voulu faire respecter ses Droits. Parfois j’ai envie de dire que le monde est injuste et que certaines personnes sont nées pour souffrir. Je pense encore à ma mère trépassant sous le regard indifférent de médecins et d’infirmières. J’imagine mon père sur la chaussée, sans secours, espérant une ambulance qui ne pourrait plus jamais le secourir. Je ne peux dire heureusement que je n’étais pas avec lui ce matin là. Mais, survivre serait trop dur comme châtiment d’un grand Dieu qui fait tout pour un bien ou la malédiction d’un diable qui prend plaisir à faire souffrir. J’aurais sûrement préféré mourir et du coup quitter Haïti à jamais – avec ses élites et ses dirigeants qui ont le secret de la jungle.

Peut être que nous aurions dû rester aux Etats-Unis lors de notre voyage papa et moi. Il serait en sécurité, il aurait déjà un boulot respectable et moi, qui sait ? De mon coté, en attendant de pouvoir me rendre à une école professionnelle,  j’aurais lancé une activité pour tondre les gazons. Mais non ! Papa a préféré rentrer pour servir son pays, pour s’assurer que je puisse terminer mes études et  qu’à l’avenir, je puisse m’être utile. Orphelin de père et de mère, je ne peux rien prévoir sur le chèque mensuel d’assistance sociale de la PNH qu’on va me livrer chaque trois mois. Et, maintenant, dans cette situation ou l’autre nous est souvent insensible, que vais-je devenir ?

Depuis ce matin, pas comme les autres, ma vie a changé. Aujourd’hui, je donne des leçons à domicile en espérant un jour pouvoir retourner terminer mes études, avoir un emploi décent,  une famille, deux enfants qui nous ressemblent,  une petite voiture d’occasion…

Depuis ce matin tout a fait spécial, je n’ai que le fil de l’espoir pour me retenir à la vie…

 

Une fiction de Job Peterson Mompremier
Delmas, Haïti

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belleayiti

Commentaires

Jacquelin Alcius
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Merci Job pour ce texte. Triste realite chez nous.

Mawulolo
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Touchant et émouvant... Je suis sans mots face à ces maux...

franckine
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waw! Que c'est triste, recommande ton sort à l'Eternel, mets en lui ta confiance et il agira Job. Crois -moi tourne ton regard vers Jesus, il ne te ddélaissera pas.

Lynds
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oufffff... C trop émouvant, ça fait couler des larmes. triste réalité mais c notre pays en gros c la vie.

Marie Moster
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La réalité est triste mais le plus dur est de vivre près leur départ

Marie
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Triste réalité mais vraie !! Ils ne savent pas combien de personnes ils détruisent quand un individu est tué.